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hommes. C’est aussi ce qui mérite tous les soins et toute l’attention possibles, pour ôter au monde une impression si dangereuse, et si aisément féconde en toutes sortes de grands inconvénients.

On ne peut exagérer assez la funeste croyance qu’a trouvée partout cette prétendue consultation faite en Sorbonne, au moins à plusieurs docteurs particuliers, par ordre de Mgr le duc de Bourgogne : savoir, si dans les conjonctures présentes il est ou il n’est pas permis de faire la guerre au roi d’Espagne. Nier ce fait à Paris et dans les provinces, on s’élève avec impétuosité et on ne souffrira pas, dit-on, qu’on en impose ; le nier à la cour, aux personnages de l’un et l’autre sexe, on sourit et on change dédaigneusement de propos. Si on est plus libre avec eux, ils déclarent leur compassion pour les dupes qui ne le veulent pas croire, et ils finissent souvent par l’indignation. Leur opiniâtreté se soutient par la fréquence et la longueur des entretiens de Mgr le duc de Bourgogne avec son confesseur, auquel on souhaite longue vie, parce qu’on l’estime et qu’on en craindroit un autre. On regarde cette place comme la première dans le conseil du prince, et à l’avenir dans le conseil du roi qu’il sera un jour. On pense avec angoisse que le ministère ne sera plus séparable de la théologie ; que les affaires, que les grâces, que tout enfin deviendra point de conscience et de religion ; et on jette tristement les yeux sur les derniers princes de la maison d’Autriche qui ont porté la couronne d’Espagne. À ces frayeurs des bons se joignent les réflexions malignes des fripons. Toute réplique est exclue, proscrite, inutile ; et voilà de ces inconvénients profonds qu’un prince ne soit pas connu des hommes.

C’est ce qui doit puissamment convier le nôtre de ne perdre plus un seul instant à travailler de toutes ses forces à parvenir à cette double connoissance des hommes si souvent répétée, à y arriver par tous les moyens possibles, à s’en faire une loi par principe de religion, et à renfermer tellement