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de ceux à qui il parle, et par eux de ceux encore à qui il ne parle pas, devient difficile à se tromper et à se méprendre, compte juste surtout, et, par une attentive combinaison de tout ce qu’il entend, il porte sa vue sur le bon et sur le vrai autant qu’il est donné de le découvrir ici-bas, et se guérit surtout de l’opinion mortelle que la vérité est impénétrable aux princes, dont la condition seroit dès là trop déplorable s’ils ne pouvoient jamais agir qu’à tâtons. Par là encore moins d’espérance et de hardiesse, et plus de danger à les tromper, moins d’attentats et de possibilité à les gouverner, plus d’émulation à se rendre capable et à bien faire, en un mot source féconde de tout bien sans aucun péril à craindre ; un temps toujours bien employé, quelque stérilité qui se rencontrât quelquefois en quelques-unes de ces conversations, dont il n’est pas possible qu’il n’y eût toujours quelque chose à recueillir, et qui toutes s’allongent et s’abrègent aisément, se remettent même au gré du prince, mais qui toutes aussi doivent avoir un objet ou proposé à découvert, ou amené dans la conversation avec adresse, et surtout ne pas parler toujours à un homme de son métier ; et tant pour apprendre que pour le sonder, le mettre diverses fois sur les affaires présentes, sur la politique, le gouvernement intérieur et extérieur, le commerce, la guerre de terre et de mer, les divers personnages, en un mot sur une matière toujours considérable, pousser les raisonnements et quelquefois les aiguiser en entretenant doucement quelque dispute.

C’est un grand abus que de se persuader que des hommes ne soient pas souvent fort instruits de bien des choses qui ne sont pas de la profession à laquelle ils se sont particulièrement voués. L’esprit et le bon sens portent à tout et sur tout ; et encore que cela soit un déréglement, il n’est pas rare de trouver des hommes médiocres dans le métier qu’ils font, meilleurs et plus instructifs à entendre sur d’autres choses, quelquefois même excellents. C’est donc à la patience