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particulière des livres, et ce temps ne doit pas être borné à l’âge qui affranchit du joug des précepteurs et des maîtres ; il doit s’étendre des années entières plus loin, afin d’apprendre à user des études qu’on a faites, à s’instruire par soi-même, à digérer avec loisir les nourritures qu’on a prises, à se rendre capable de sérieux et de travail, à se former l’esprit au goût du bon et du solide, à s’en faire un rempart contre l’attrait des plaisirs et l’habitude de la dissipation, qui ne frappent jamais avec tant de force que dans les premières années de la liberté. Mais ce second temps d’étude a déjà été si heureusement rempli, que le pousser au delà de ses justes bornes est un larcin fait à d’autres sortes d’applications, pour lesquelles celles-là n’ont dû servir que de préparations. Il est donc un temps d’amasser et il est un temps de répandre, et c’est ce dernier qui est déjà arrivé depuis longtemps, sans que Mgr le duc de Bourgogne semble le reconnoître, et qui lui échappe avec un dommage infini. Si l’enfance d’un prince étoit capable de percer les raisons des leçons diverses qui lui sont successivement données, il reconnoîtroit que l’intention de ses maîtres n’est que de lui donner une connoissance des différentes sciences également nécessaires pour lui ouvrir l’esprit, lui donner de l’application et de la solidité, le former au travail et au sérieux, le préserver d’une ignorance fâcheuse, mais que leur dessein n’est rien moins que de le pousser dans la suite à ces sciences, et de lui faire perdre un temps destiné aux plus grandes fonctions de l’esprit humain, à devenir un maître lui-même en ces sciences, par elles-mêmes inutiles à tout ce qu’il doit être et sans contredit nuisibles, si, porté à les suivre par son goût et par sa facilité, il continuoit à les cultiver dans la suite, puisque les jours étant limités à un certain nombre d’heures et l’esprit à une certaine mesure d’application, il pervertiroit dangereusement l’ordre de son état et de sa destination en mettant les sciences à la place des autres choses qui doivent uniquement l’occuper.