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l’oracle et le seul sage, appuyé de Mme de Maintenon et de Voysin, couchoit en joue les autres ministres pour les renverser, et ne pouvoit plus souffrir de délais pour entrer au conseil dont il avoit si souvent pensé forcer la porte. Il tenoit tout le monde en expectation, et se présentoit avec un poids et une autorité qui, avec tout son esprit, ne s’élaignoient pas de l’audace, quoique applaudi par le gros de la cour et du monde. Le troisième, dont l’incomparable fortune avoit trouvé les plus singulières ressources pour soi dans la funeste perte d’une bataille follement donnée, et plus extravagamment rangée, triomphoit du réparateur de ses torts avec la dernière effronterie, dans l’appartement et les meubles même du prince de Conti et de la princesse sa mère qui en fut piquée au vif, et M. le Duc aussi quoique brouillé avec elle, sans que l’orgueil des princes du sang, si haut porté, osât répliquer une seule parole aux volontés du roi. Qu’eût dit le prince de Conti grand-père, et le vieux Villars, qui avec raison se crut au comble de l’honneur et de la fortune quand il se vit son écuyer, s’ils avoient pu voir la belle-fille et le petit-fils de ce prince délogés malgré eux pour le fils de Villars, et n’oser ne lui pas laisser leurs meubles ?

Là ce fils de la fortune reçut la foule de la cour précisément avec bonté, et il se peut dire qu’il y tint la sienne : jeux continuels, fêtes, festins, très-souvent la musique du roi les soirs. Le héros romanesque en soutenoit pleinement le personnage. Il ne parloit que par tirades de pièces de théâtre, et tenoit des propos si surprenants qu’il en embarrassoit souvent sa nombreuse compagnie. Ses saillies étoient continuelles ; il ne se contraignoit d’aucune. Le lit de repos de dessus lequel il dominoit les assistants sembloit le théâtre d’un Tabarin. Mme de Maintenon l’alloit voir souvent en des heures particulières. Un jour qu’elle y trouva son fils qui avoit lors huit ans et qu’elle le caressa, le maréchal lui dit qu’à la fin ses bontés le gâteroient, et prenant