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Mes doigts, suivans l’humeur de mon triste génie,
Font languir les accents et plaindre l’harmonie.
Mille tons délicats, lamentables et clairs,
S’en vont a longs soupirs se perdre dans les airs ;
Et, tremblans au sortir de la corde animée,
Qui s’est dessous ma main au dueil accoutumée,
Il semble qu’à leur mort, d’une voix de douleur,
Ils chantent en pleurant ma vie et mon malheur.

Ces vers eux-mêmes sont déjà d’assez belle musique ; mais il paroît qu’il savoit, comme Bois-Robert, que l’on surnommoit l’abbé Mondory, et comme plus tard Boileau et Racine, admirablement faire valoir ses poèmes par l’art avec lequel il les débitait. C’est ce qui lui attira même, dit-on, cette épigramme, attribuée à Gombauld :

Tes vers sont beaux quand tu les dis ;
Mais ce n’est rien quand je les lis.
Ta ne peux pas toujours les dire :
Fais-en donc que je puisse lire.

Avec tous ces talents, « dès sa jeunesse, Saint-Amant, ami de la débauche et de la bonne chère, s’estoit familiarisé avec les grands, qui estaient ravis de l’avoir à leur table ; et, quoiqu’il fût très libre, il n’abusoit point de l’estime singulière qu’ils avoient pour luy. » Des goûts d’épicurien, des réparties vives et heureuses, un esprit railleur, de l’entrain, tels étaient les mérites de Saint-Amant à table. Aussi fut-il un des convives les plus recherchés de ces seigneurs bruyants qui, jusqu’à l’avènement de Richelieu, égayèrent la cour si mal disciplinée de Louis XIII. Sa réserve même était un mérite auprès des grands, lesquels lui témoignoient d’autant plus d’amitié qu’ils craignoient moins de le voir en abuser.

Toujours aimable, accommodant ses goûts à ceux de ses amis, esprit sans fiel, mais jamais parasite flatteur ou ambitieux, notre jeune poète était un homme de bonne société ; il s’applaudissoit fort de jouir de la « conversation familière » des gentilshommes, de ceux même qui, comme le duc de Retz, tenoient le plus à l’avoir auprès d’aux, et il se croyoit obligé à des remercîements publics.

Ce fut à la suite de ce dernier seigneur que Saint-Amant se rendit à Belle-Isle, domaine que le père du