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tiennent comme vertu à l’endroict de l’ennemy estranger, et non toutefois enuers ceux de la propre Nation, desquels ils sçauent assez bien dissimuler, et supporter vn tort ou iniure quand il faut. Et à ce propos de la vengeance ie diray que comme le General de la flotte assisté des autres Capitaines de nauires, eussent par certaine ceremonie, ieté vne espée dans la rivière Sainct Laurens au temps de la 108|| traicte, en la presence de tous les Sauuages, pour asseurance aux meurtriers Canadiens qui auoient tué deux François, que leur faute leur estoit entierement pardonnée, et enseuelie dans l’oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit perduë et enseuelie au fonds des eauës. Nos Hurons, qui sauent bien dissimuler, et qui tiennent bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays tournerent toute cette ceremonie en risée, et s’en mocquerent, disans que toute la colere des François auoit esté noyée en cette espée, et que pour tuer un François on en seroit dores nauant quitte pour vne douzaine de castors.

Pendant l’hyuer, que les Epicerinys se vindrent cabaner au pays de nos Hurons, à trois lieuë de nous, ils venoient souuent nous visiter en nostre Cabane pour nous voir, et pour s’entretenir de discours auec nous : car comme i’ay dict ailleurs, ils sont assez bonnes gens, et sçauent les deux langues, la Huronne et la leur, ce que n’ont pas les Hurons, lesquels ne sçauent ny n’apprennent autre langue que la leur, soit par negligence, ou pour ce qu’ils ont moins affaire de leurs voysins, que leurs 109|| voysins n’ont affaire d’eux. Ils nous parlerent par plusieurs fois d’vne certaine Nation à laquelle ils vont tous les ans vne fois à la