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lire les gazettes ; elles sont bonnes et point exagérées’, ni flatteuses comme autrefois. Mais quelle folie de parler d’autre chose que de madame Voisin et de M. le Sage !

Monsieur de Sêvigné.

Ce n’est pas M. le Sage qui prend la plume, comme vous voyez ; me revoilà enfin, ma belle petite sœur, tout planté à Paris, à côté de maman mignonne, que l’on ne m’accuse point encore d’avoir voulu empoisonner ; et je vous assure que, dans le temps qui court, ce n’est pas un petit mérite. Je suis dans les mêmes sentiments pour ma petite sœur ; c’est pourquoi je souhaite ardemment le retour de votre santé ; après celui-là nous en souhaiterons un autre.

Madame de Sêvigné.

Le voilà arrivé, ce fripon de Sêvigné. J’avais dessein de le gronder, et j’en avais tous les sujets du monde ; j’avais même préparé un petit discours raisonné, et je l’avais divisé en dix-sept points, comme la harangue de Vassé ; mais je ne sais de quelle façon tout cela s’est brouillé, et si bien mêlé de sérieux et de gaieté, que nous avons tout confondu. Tout père frappe à côté, comme dit la chanson. On continue à blâmer un peu la sagesse des juges, qui a fait tant de bruit, et nommé scandaleusement de si grands noms pour si peu de chose. M. de Bouillon a demandé au roi permission de faire imprimer l’interrogatoire de sa femme, pour l’envoyer en Italie et par toute l’Europe, où l’on pourrait croire que madame de Bouillon est une empoisonneuse. Madame de la Ferté, ravie d’être innocente une fois en sa vie, a voulu à toute force jouir de cette qualité ; et quoiqu’on lui eût mandé de ne point venir si elle ne voulait, elle le voulut, et cela fut encore plus léger que madame de Bouillon. Feuquières et madame du Roure, toujours des peccadilles. Mais voici ce qui est désagréable pour les prisonniers, c’est que la chambre ne travaillera de vingt jours, soit pour tâcher de se racquitter en faisant des informations nouvelles, soit en faisant venir de loin des gens accusés, comme, par exemple, cette Polignac, qui a un décret, ainsi que la comtesse de Soissons. Enfin, voilà vingt jours de repos, ou de désespoir ; cependant la comtesse de Soissons gagne pays, et fait fort bien : il n’est rien tel que de mettre son crime ou sou innocence au grand air[1]. J’ai eu

  1. La comtesse de Soissons offrit de revenir, pourvu qu’on ne la mit ni à