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pense que celle de la dépouille de M. de Vaubrun. Jamais rien n’aurait été d’une si grande édification, ni d’un si bou exemple, que de l’honorer du bâton, après un si grand succès.

On vint éveiller M. de Reims à cinq heures du matin, pour lu dire que M. de Turenne avait été tué. Il demanda si l’armée était défaite ; on lui dit que non : il gronda qu’on l’eût éveillé, appela son valet de chambre coquin, fit retirer le rideau, et se rendormit. Adieu, mon enfant ; que voulez-vous que je vous dise ?

Je vous envoie cette relation à cinq heures du soir : je fais mon paquet toute seule ; M. de Coulanges viendrait ce soir, et voudrait la copier ; je hais cela comme la mort. J’.ai fait toutes vos amitiés et dit toutes vos douceurs à M. de Pomponne et à madame de Vins : en vérité, elles sont très-bien reçues. Je lui dis la joie que vous aviez de n’être plus mêlée dans les sottes querelles de Provence : il en rit, et de la raison de votre sagesse : il souhaiterait que les Bretons s’amusassent à se haïr, plutôt qu’à se révolter. J’ai vu madame de Rouillé chez elle ; je la trouvai toujours aimable ; je croyais être à Aix ; je voudrais fort sa fille[1], mais elle a de plus grandes idées. Adieu, ma très-chère et très-aimée. Madame de Verneuil et la maréchale de Castelnau viennent d’admirer votre portrait ; on l’aime tendrement, et il n’est pas si beau que vous. C’est à M. de Grignan, que j’embrasse, à qui j’envoie la relation aussi bien qu’à vous.


135. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 16 août 1675.

Je voudrais mettre tout ce que vous m’écrivez de M. de Turenne dans une oraison funèbre : vraiment votre style est d’une énergie et d’une beauté extraordinaire ; vous étiez dans les bouffées d’éloquence que donne l’émotion delà douleur. Ne croyez point, ma fille, que son souvenir soit déjà fini dans ce pays-ci ; ce fleuve qui entraîne tout, n’entraîne pas sitôt une telle mémoire, elle est consacrée à l’immortalité. J’étais l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld avec madame de Lavardin, madame de la Fayette et M. de Marsillac. M. le Premier y vint : la conversation dura deux heures sur les divines qualités de ce véritable héros : tous les yeux étaient baignés de larmes, et vous ne sauriez croire comme la douleur de sa perte était profondément gravée dans les cœurs :

  1. Pour M. de Sévigné.