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si grande réputation. Le véritable Louis est en chemin avec toute son armée ; les lettres ne disent rien de positif, par la raison qu’on ne sait point où l’on va. Il n’est plus question de Maestricht ; on dit qu’on va prendre trois places, l’une sur le Rhin, l’autre sur l’Yssel, et la troisième tout auprès ; je vous manderai leurs noms quand je les saurai. Rien n’est plus confus que toutes les nouvelles de l’armée : ce n’est pas faire sa cour que d’en mander, ni de se mêler de deviner et de raisonner. Les lettres sont plaisantes à voir : vous jugez bien que je passe ma vie avec des gens qui ont des fils assez bien instruits ; mais il est vrai que le secret est grand sur les intentions de Sa Majesté. L’autre jour, un homme de bonne maison[1] écrivait à un de ses amis : Je vous prie de me mander où nous allons, et si nous passerons VYssel, ou si nous assiégerons Maestricht. Vous pouvez juger par là des lumières que nous avons ici : je vous assure que le cœur est en presse. Vous êtes heureuse d’avoir votre cher mari en sûreté, qui n’a d’autre fatigue que de voir toujours votre chien de visage dans une litière vis-à-vis de lui : le pauvre homme[2] ! Il avait raison de monter quelquefois à cheval pour l’éviter : le moyen de le regarder si longtemps ! Hélas ! il me souvient qu’une fois, en revenant de Bretagne, vous étiez vis-à-vis de moi : quel plaisir ne sentais-je point de voir toujours cet aimable visage ! Il est vrai que c’était dans un carrosse ; il faut donc qu’il y ait quelque malédiction sur la litière.

Madame du Pui-du-Fou ne veut pas que je mène ma petite enfant : elle dit que c’est hasarder, et là-dessus je rends les armes : je ne voudrais pas mettre en péril sa petite personne ; je l’aime tout à fait ; je lui ai fait couper les cheveux ; elle est coiffée hurluberbu y cette coiffure est faite pour elle. Son teint, sa gorge, tout son petit corps est admirable ; elle fait cent petites choses, elle parle, elle caresse, elle bat, elle fait le signe de la croix, elle demande pardon, elle fait la révérence, elle baise la main, elle hausse les épaules, elle danse, elle flatte, elle prend le menton ; enfin elle est jolie de tout point ; je m’y amuse des heures entières ; je ne veux point que cela meure. Je vous disais l’autre jour : je ne sais point comme l’on fait pour ne point aimer sa fille.

  1. M. le Duc.
  2. Allusion à la pièce du Tartufe.