Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 8.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

68

parut plus déchaîné. Mon ami lui dit « Cela est bien vilain de parler contre un homme qui est en prison, avec qui vous viviez bien avant qu’il y entrât, et dont vous avez épousé la nièce(9); je suis assuré que vous ne parleriez pas comme vous faites s’il étoit en liberté; mais ne croyez pas, parce qu’il est arrêté, que tout vous soit permis. Je suis ici pour faire taire ceux qui ne l’aiment pas. » Humières fila doux, et lui répondit qu’il prenoit les choses d’un autre sens qu’il ne les avoit dites. Saint-Aignan lui répliqua qu’il entendoit le français aussi bien que lui, et le quitta. Vous croyez peut-être, Madame, qu’il s’est contenté de me servir de son crédit auprès du Roi, et de me défendre contre mes ennemis ? Point du tout. Il n’y a aucune marque d’amitié que je n’en aie reçue. Il a sollicité mes procès comme les siens. Il me donna, en 1676 (10) un carrosse presque tout neuf avec de fort belles glaces, qui valoit quatre cents écus ; c’est-à-dire, il me le prêta et ne le voulut jamais reprendre ; il m’a prêté de l’argent dont il m’a renvoyé la promesse, et je le lui dois encore mais vous croyez bien que je le payerai à sa veuve dès que je pourrai. Voilà l’ami que j’ai perdu, Madame : jugez s’il y a un homme plus à plaindre que moi, ni un homme plus à estimer que lui ; car enfin, avec tout le mérite qu’il avoit à mon égard, il avoit de l’esprit, un courage extraordinaire, et un cœur comme le devroient avoir les rois.(11). Je suis ravi, Madame, que vous ayez trouvé ma lettre

9. La nièce à la mode de Bretagne : voyez tome I, p. 403, note 7. 10. Les mots en 1676, et cinq lignes plus loin, le devant payerai, ont été ajoutés après coup par Bussy, dans l’interligne. 11. Une main autre que celle de Bussy a biffé ces mots et les a remplacés par « comme l’ont les grands rois."