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1083. DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce vendredi 5e novembre.

JE [1] pris hier une petite médecine à la mode de mes capucins; c’étoit pour purger ma santé elle ne fit aussi que balayer grossièrement; c’est leur fantaisie; je m’en porte en perfection. J’ai été un peu fâchée de ne vous point voir prendre possession de cette chambre dès le matin, me questionner, m’épiloguer, m’examiner, me gouverner, et me secourir à la moindre apparence de vapeur. Ah ma chère enfant, que tout cela est doux et aimable que j’ai soupiré tristement de ne plus recevoir ces marques si naturelles de votre amitié et ce café que vous prenez, et cette toilette qui arrive, et votre compagnie du matin, qui vous cherche et qui vous suit, et contre laquelle mon rideau me sert de cloison. En vérité, ma fille, on perd infiniment quand on vous perd : jamais personne n’a jeté des charmes dans l’amitié comme vous faites ; je vous le dis toujours, vous gâtez le métier tout est plat, tout est insipide, quand on en a goûté. M. de la Garde m’en avoit parlé autrefois de cette manière, et j’avois cru, dans certaines[2] occasions, que vous me cachiez cruellement tous ces trésors ; mais, ma chère enfant, vous me les avez découverts : je connois votre cœur tout parfait, tout plein de tendresse et d’amitié pour moi ; c’est une consolation dans la fin de ma vie, qui me rendroit heureuse sans votre absence ; mais, ma belle[3], ce fonds ne se dissipe point, et l’absence finira.

  1. LETTRE 1083. 1. Les premières phrases de cette lettre ne sont pas dans l’édition de 1737, qui commence seulement à « En vérité, ma fille, etc. »
  2. 2. « Dans quelques occasions. » (Édition de 1754.)
  3. 3. « C’est un bonheur dont vous voulez me consoler dans la fin