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succède un autre c’est la pensée de se séparer; n’est-ce pas là ce que je disois de la manière de la Providence ? Il faudra donc nous dire adieu, ma fille et moi, l’une pour Provence, l’autre pour Bretagne c’est ainsi vraisemblablement que la Providence va disposer de nous. Elle a fait mourir aussi la nièce de notre Corbinelli[1] d’une étrange manière. Elle avoit emprunté avec son oncle le carrosse d’un de ses amis ; un portier qui n’avoit jamais mené, prit témérairement de jeunes chevaux ; il monte sur le siège ; il va choquant, rompant, brisant, courant partout : un cheval s’abat, le timon va enfiler un carrosse, d’où trois hommes sortent l’épée à la main ; le peuple s’assemble ; un de ces hommes veut tuer Corbinelli

« Hélas! Messieurs, leur dit-il, vous n’en serez pas mieux, le cocher n’est point à moi, nous sommes au désespoir contre lui. » Cet homme devient son protecteur, le tire de la populace ; mais il ne tire pas sa pauvre nièce d’une frayeur si excessive, qu’elle revient chez elle le cœur serré, au point que la fièvre lui prend le soir, et quatre jours après elle meurt. Elle a été généralement regrettée[2].

La philosophie de notre ami ne l’a pas empêché d’en pleurer ; mais j’espère qu’enfin elle le consolera. C’est à elle que je le recommande ; car je n’ai pas la vanité de croire que je puisse en cette rencontre quelque chose sur son esprit. Cependant, mon cher cousin, je lui laisse la plume, après vous avoir embrassé de tout mon cœur et mon aimable nièce, à qui je prétends écrire comme à vous dans cette longue et ennuyeuse lettre. Je dis ennuyeuse, parce que comme elle ne m’a point divertie en l’écrivant, je crois qu’elle ne vous divertira point.
  1. 6. Voyez tome V, p. 532, note 6.
  2. 7. L’édition de 1697 ajoute « de ceux qui la connoissoient. ».