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1679 ner[1] me sont plus agréables que toute la fausse paix d’une ennuyeuse absence Si votre cœur étoit un peu plus ouvert, vous ne seriez pas si injuste[2] : par exemple, n’est-ce pas un assassinat que d’avoir cru qu’on vouloit vous ôter de mon cœur, et sur cela me dire des choses dures ? Et le moyen que je pusse deviner la cause de ces chagrins ? Vous dites qu’ils étoient fondés : c’étoit dans votre imagination, ma fille, et sur cela, vous aviez une conduite qui étoit plus capable de faire ce que vous craigniez (si c’étoit une chose faisable) que tous les discours que vous supposiez qu’on me faisoit[3] : ils étoient sur un autre ton ; et puisque vous voyiez bien que je vous aimois toujours, pourquoi suiviez-vous votre injuste pensée, et que ne tâchiez-vous plutôt, à tout hasard, de me faire connoître que vous m’aimiez. ? Je perdois beaucoup à me taire ; j’étois digne de louange dans tout ce que je croyois ménager, et je me souviens que deux ou trois fois vous m’avez dit le soir des mots que je n’entendois point du tout alors. Ne retombez donc plus dans de pareilles injustices ; parlez, éclaircissez-vous : on ne devine pas ; ne faites point comme disoit le maréchal de Gramont, ne laissez point vivre ni rire des gens qui ont la gorge coupée, et qui ne le sentent pas. Il faut parler aux gens raisonnables : c’est par là qu’on s’entend ; et l’on se trouve toujours bien d’avoir de la sincérité : le temps vous persuadera peut-être de cette vérité. Je ne sais comme je me suis insensiblement engagée dans ce discours ; il est peut-être mal à propos[4].

  1. 3. « Et que les chagrins qui partent de l’amitié que j’ai pour vous. » (Édition de 1754.)
  2. 4. Tout ce qui suit manque dans l’édition de 1754, qui reprend seulement à : « parlez, éclaircissez-vous. »
  3. 5. Il s’agit sans aucun doute des préventions de Mme de Grignan contre Corbinelli : voyez les lettres des 4 et 20 octobre suivants, et la lettre 713, tome V, p. 518-520.
  4. 6. Cette dernière phrase n’est pas dans l’édition de 1754.