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1675dont le Roi est ensorcelé : elle n’a pas le pouvoir de l’en détacher un moment ; il partage ses soins, son temps et sa santé entre elles deux. La comédienne est aussi fière que la duchesse de Portsmouth : elle la morgue, elle lui fait la grimace, elle l’attaque, et lui dérobe souvent le Roi ; elle se vante de ses préférences. Elle est jeune, folle, hardie, débauchée et plaisante ; elle chante, elle danse, et fait son métier de bonne foi. Elle a un fils du Roi, et veut qu’il soit reconnu. Voici son raisonnement : « Cette duchesse, dit-elle, fait la personne de qualité ; elle dit que tout est son parent en France ; dès qu’il meurt quelque grand, elle prend le deuil[1] : eh bien ! puisqu’elle est de si grande qualité, pourquoi s’est-elle faite p…. ? Elle devroit mourir de honte : pour moi, c’est mon métier, je ne me pique pas d’autre chose. Le Roi m’entretient, je ne suis qu’à lui présentement. Il m’a fait un fils, je prétends qu’il doit le reconnoître, et je suis assurée qu’il le reconnoîtra, car il m’aime autant que sa Portsmouth. » Cette créature tient le haut du pavé, et décontenance et embarrasse extraordinairement la duchesse. Voilà de ces originaux qui me font plaisir. J’ai trouvé que d’Orléans je ne pouvois vous rien mander de meilleur : du moins sont-ce des vérités.

Je me porte très-bien, ma bonne : je me trouve fort bien[2] d’être une substance qui pense et qui lit ; sans cela notre bon abbé m’amuseroit peu : vous savez qu’il est

    Mémoires de Gramont, p. 394 et 395 de l’édition Pourrat : suivant cette note, elle mourut en 1691.

  1. Mme de Kérouel avoit pris un grand deuil pour le roi de Suède ; à quelque temps de là le roi de Portugal vint à mourir ; Nelgouine parut avec un carrosse drapé, et disoit : « La Kérouel et moi avons partagé le monde : elle a les rois du Nord, et moi ceux du Midi. » (Note des éditions de 1726.)
  2. Dans sa seconde édition, Perrin a substitué : « je me sais bon gré » à « je me trouve fort bien. »