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revient comme un gardon[1] : la première chose qui lui arrive, c’est la fièvre tierce avec des accès qui la font rêver, qui la dévorent, et qui ne peuvent faire autre chose que la consumer ; car elle est extrêmement maigre, et n’a rien dans le corps ; mais quoique je sois touchée de cette maladie, elle ne m’effraye point ; celle de ma tante est ce qui m’embarrasse. Cependant fiez-vous à nous, laissez-nous faire : nous n’irions de longtemps en Provence, si nous n’y allions cette année. Quoique vous soyez en état de revenir avec moi, laissez-nous partir ; et si la présence de l’abbé vous paroît nécessaire à donner quelque ordre dans vos affaires, profitez de sa bonne intention : on fait bien des affaires en peu de temps. Ayez pitié de notre impatience, aidez-nous à la soutenir, et ne croyez pas que nous perdions un moment à partir, quand même il en devroit coûter quelque petite chose à la bienséance. Parmi tant de devoirs, vous jugez bien que je péris ; ce que je fais m’accable, et ce que je ne fais pas m’inquiète. Ainsi le printemps qui me redonneroit la vie n’est pas pour moi :

Ah ! ce n’est pas pour moi que sont faits les beaux jours !

Voilà ma chanson. Je fais pourtant de petites équipées de temps en temps, qui me soutiennent l’âme dans le corps.

Je comprends fort bien l’envie que vous avez quelquefois de voir Livry ; j’espère, ma chère fille, que vous en jouirez à votre tour. Ce n’est pas que Monsieur d’Uzès ne vous dise comme le Roi s’est fait une loi de n’accorder aucune grâce là-dessus ; il vous dira ce qu’il lui dit ; vous

  1. Lettre 274. — 1. Petit poisson blanc d’eau douce. « On dit proverbialement : sain comme un gardon. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)