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1675


tout étoit hier en pleurs dans les rues ; le commerce de toute autre chose étoit suspendu.

C’est à vous que je m’adresse, mon cher Comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pût arriver en France : c’est la mort de M. de Turenne. Si c’est moi qui vous l’apprends, je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva lundi à Versailles[1] : le Roi en a été affligé, comme on doit l’être de la perte du plus grand capitaine, et du plus honnête homme du monde ; toute la cour fut en larmes, et Monsieur de Condom pensa s’évanouir. On étoit prêt d’aller se divertir à Fontainebleau : tout a été rompu. Jamais un homme n’a été regretté si sincèrement ; tout ce quartier où il a logé[2], et tout Paris, et tout le peuple étoit dans le tronble et dans l’émotion ; chacun parloit et s’attroupait pour regretter ce héros. Je vous envoie une très-bonne relation de ce qu’il a fait les derniers jours de sa vie. C’est après trois mois d’une conduite toute miraculeuse, et que les gens du métier ne se lassent point d’admirer, qu’arrive le dernier jour de sa gloire et de sa vie[3]. Il avoit le plaisir de voir décamper l’armée

  1. 11. Par un billet du marquis de Vaubrun à Louvois, daté du 27 juillet 1675, à trois heures après midi. Il est imprimé dans les Lettres militaires de Louis XIV, tome III, p. 216.
  2. 12. L’hôtel de Turenne (il ne lui appartenait point encore en 1652) était rue Saint-Louis, au Marais, au coin de la rue Saint-Claude. Il fut en 1684 acquis du cardinal de Bouillon par la duchesse d’Aiguillon (moyennant l’échange de la terre, seigneurie et châtellenie de Pontoise) et donné par elle aux filles de l’Adoration du Saint-Sacrement. L’hôtel et le couvent ont disparu ; sur le terrain on a construit l’église Saint-Denis du Saint-Sacrement.
  3. 13. « … de ce qu’il a fait quelques jours avant sa mort ; après trois mois d’une conduite… ne se lassent point d’admirer, vous