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sainte Geneviève nous donne ici un temps admirable[1]. La Saint-Géran est dans le chemin du ciel. La bonne Villars n’a point reçu votre lettre ; c’est une douleur.

Voici une petite histoire qui s’est passée il y a trois jours. Un pauvre passementier, dans ce faubourg Saint-Marceau, étoit taxé à dix écus pour un impôt sur les maîtrises. Il ne les avoit pas : on le presse et represse ; il demande du temps, on lui refuse ; on prend son pauvre lit et sa pauvre écuelle. Quand il se vit en cet état, la rage s’empara de son cœur ; il coupa la gorge à trois enfants qui étoient dans sa chambre ; sa femme sauva le quatrième, et s’enfuit. Le pauvre homme est au Châtelet ; il sera pendu dans un jour ou deux. Il dit que tout son déplaisir, c’est de n’avoir pas tué sa femme et l’enfant qu’elle a sauvé. Songez que cela est vrai comme si vous l’aviez vu, et que depuis le siège de Jérusalem[2], il ne s’est point vu une telle fureur.

On devoit partir aujourd’hui pour Fontainebleau, où les plaisirs devoient devenir des peines par leur multiplicité. Tout étoit prêt ; il arrive un coup de massue qui rabaisse la joie. Le peuple dit que c’est à cause de Quantova : l’attachement est toujours extrême ; on en fait assez pour fâcher le curé et tout le monde, et peut-être pas assez pour elle ; car dans son triomphe extérieur il y a un fond de tristesse. Vous parlez des plaisirs de Versailles ; et dans le temps qu’on alloit à Fontainebleau pour s’abîmer dans la joie[3], voilà M. de Turenne tué ; voilà une conster-

  1. 5. Voyez plus haut, p. 520, note 6.
  2. 6. Voyez dans l’Histoire de la guerre des Juifs contre les Romains, le récit de l’horrible famine de Jérusalem (particulièrement au livre V, chap. xxvii et xxxiii, et au livre VI, chap. xxi et suivants). Nous verrons plus loin que Mme de Sévigné admirait beaucoup la traduction qu’Arnauld d’Andilly avait donnée de cet ouvrage de Josèphe.
  3. 7. Ce morceau, depuis : « Le peuple dit, » jusqu’à : « s’abîmer