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Fort-Louis[1], que si les troupes qu’il a demandées font un pas dans la province, Mme de Chaulnes court risque d’être mise en pièces. Il n’est cependant que trop vrai qu’on doit envoyer des troupes, et on a raison de le faire ; car dans l’état où sont les choses, il ne faut pas des remèdes anodins ; mais ce ne seroit pas une sagesse de partir avant que de voir ce qui arrivera de cet extrême désordre. On croit que la récolte pourra séparer toute cette belle assemblée ; car enfin il faut bien qu’ils ramassent leurs blés. Ils sont six ou sept mille, dont le plus habile n’entend pas un mot de françois. M. Boucherat me contoit l’autre jour qu’un curé avoit reçu devant ses paroissiens une pendule qu’on lui envoyoit de France (car c’est ainsi qu’ils disent) ; ils se mirent tous à crier en leur langage que c’étoit la Gabelle, et qu’ils le voyoient fort bien. Le curé habile leur dit sur le même ton : « Point du tout, mes enfants, ce n’est point la Gabelle ; vous ne vous y connoissez pas ; c’est le Jubilé. » En même temps les voilà à genoux. Que dites-vous de l’esprit fin de ces Messieurs ? Quoi qu’il en soit, il faut un peu voir ce que deviendra ce tourbillon. Ce n’est pas sans déplaisir que je retarde mon voyage : il est placé et rangé comme je le desire ; il ne peut être remis dans un autre temps sans me déranger beaucoup de desseins ; mais vous savez ma dévotion pour la Providence ; il faut toujours en revenir là, et vivre au jour la journée. Mes paroles sont sages, comme vous voyez ; mais très-souvent mes pensées ne le sont pas. Il y a un point, que vous devinez aisément, où je ne puis me servir de la résignation que je prêche aux autres.

Mlle d’Eaubonne[2] fut mariée avant-hier. Votre frère

  1. 5. Y a-t-il un Fort-Louis en Bretagne, ou faut-il lire Port-Louis (chef-lieu de canton du Morbihan) ?
  2. 6. Antoinette le Fèvre d’Eaubonne, mariée à le Goux de la Berchère.