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cette affaire ; mais comme je vous empêche, sur l’amitié, d’être le plus grand capitaine du monde, l’abbé[1] m’empêche d’être la personne la plus agitée et la plus occupée de vos affaires : il m’efface par son activité. Il est vrai qu’étant jointe à son habileté, il doit battre plus de pays que moi ; il le fait aussi, et dès sept heures du matin il sort pour consulter les mots et les points et les virgules de cette transaction. Le bien Bon a quelquefois des disputes avec Mlle de Méri ; mais savez-vous ce qui les cause ? C’est assurément l’exactitude de l’abbé, beaucoup plus que l’intérêt ; mais quand l’arithmétique est offensée, et que la règle de deux et deux font quatre est blessée en quelque chose, le bon abbé est hors de lui : c’est son humeur, il le faut prendre sur ce pied-là. D’un autre côté, Mlle de Méri a un style tout différent ; quand par esprit ou par raison elle soutient un parti, elle ne finit plus, elle le pousse ; il se sent suffoqué par un torrent de paroles ; il se met en colère, et en sort par faire l’oncle, et dire qu’on se taise : on lui dit qu’il n’a point de politesse ; politesse est un nouvel outrage, et tout est perdu ; on ne s’entend plus ; il n’est plus question de l’affaire ; ce sont les circonstances qui sont devenues le principal. En même temps je me mets en campagne, je vais à l’un, je vais à l’autre, je fais un peu comme le cuisinier de la comédie[2] ; mais je finis mieux, car on en rit ; et au bout du compte, que le lendemain Mlle de Méri retourne au bon abbé, et lui demande son avis bonnement, il lui donnera, il la servira ; il est très-bon, et le bien Bon, je vous en assure ; il a ses humeurs : quelqu’un est-il parfait ? Je vous réponds toujours d’une chose, c’est qu’il n’y aura qu’à rire de leurs disputes, tant que j’en serai témoin.

  1. 4. L’abbé de Coulanges.
  2. 5. Maître Jacques, cuisinier d’Harpagon. Voyez dans l’Avare de Molière la quatrième et la cinquième scène du quatrième acte.