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pour la mettre dans mon livre de l’Ingratitude[1]. Je la trouve belle ; mais ce qui me frappe, c’est la délicatesse de cet homme qui ne veut pas qu’on soit amoureux de sa mère, et qui poignarde son ami et son bienfaiteur : les consciences de Provence sont admirables. Celle de la Grêle est en miniature sur le moule de celle-ci ; ses scrupules, ses relâchements, ses propositions, ses oppositions : en augmentant et noircissant les doses, on en feroit fort bien votre ami le scélérat.

Ma fille, laissons ce discours : vous venez donc, et j’aurai le plaisir de vous recevoir, de vous embrasser, et de vous donner mille petites marques de mon amitié et de mes soins. Cette espérance répand une douce joie dans mon cœur ; je suis assurée que vous le croyez, et que vous ne craignez point que je vous chasse.

J’ai été aujourd’hui à Saint-Germain ; toutes les dames m’ont parlé de votre retour. La[2] comtesse de Guiche m’a priée de vous dire qu’elle ne vous écrira point, puisque vous venez querir votre réponse : elle est au dîner, quoique Andromaque[3] ; la Reine l’a voulu. J’ai donc vu cette scène. Le Roi et la Reine mangent tristement, je n’oserois dire leur avoine. Mme de Richelieu est assise, et puis les dames, selon leur dignité ; quand elles sont debout, les autres sont assises ; celles qui n’ont point dîné sont prêtes à s’élancer sur les plats ; celles qui ont dîné ont mal au cœur, et sont suffoquées de la vapeur des viandes : ainsi cette troupe est suffisante[4]. Mme de

  1. 4. Voyez les passages indiqués au tome II, p. 49, note 15.
  2. 5. Le morceau suivant, dans l’édition de Rouen (1726), fait partie de la lettre du 3 janvier 1672 ; dans celle de la Haye (1726), il est daté du mercredi 9 mars (sans indication d’année) ; dans la première de Perrin, il termine notre lettre 377.
  3. 6. C’est-à-dire, quoique en habit de veuve. (Note de Perrin, 1754.)
  4. 7. Tel est le texte du manuscrit ; l’édition de Rouen (1726) et la