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encore ; enfin il trouve la queue d’un cheval, s’y attache ; ce cheval le mène à bord, il monte sur le cheval, se trouve à la mêlée, reçoit deux coups dans son chapeau, et revient gaillard : voilà qui est d’un sang-froid qui me fait souvenir d’Oronte, prince des Massagètes.

Au reste, il n’est rien de plus vrai que M. de Longueville avoit été à confesse avant que de partir. Comme il ne se vantoit jamais de rien, il n’en avoit pas même fait sa cour à Madame sa mère ; mais ce fut une confession conduite par nos amis[1], dont l’absolution fut différée plus de deux mois. Cela s’est trouvé si vrai, que Mme de Longueville n’en peut pas douter : vous pouvez penser quelle consolation. Il faisoit une infinité de libéralités et de charités que personne ne savoit, et qu’il ne faisoit qu’à condition qu’on n’en parlât point. Jamais un homme n’a eu tant de solides vertus ; il ne lui manquoit que des vices, c’est-à-dire un peu d’orgueil, de vanité, de hauteur ; mais du reste, jamais on n’est approché si près de la perfection : Pago lui, pago il mondo[2] ; il étoit au-dessus des louanges ; pourvu qu’il fût content de lui, c’étoit assez. Je vois souvent des gens qui sont encore fort éloignés de se consoler de cette perte ; mais pour tout le

    Colbert du Terron. « Barbançon, premier maître d’hôtel de Monsieur, mourut aussi (en juin 1695), si goûté du monde par le sel de ses chansons, et l’agrément et le naturel de son esprit. » (Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 257.)

  1. 4. Messieurs de Port-Royal. (Note des éditions de 1726.)
  2. 5. Lui content, (il fallait que) le monde fût content. Dans le Pastor fido du Guarini, acte II, scène v, Amaryllis dit, parlant de la plus humble des bergères, dont elle envie le sort :

    Paga lei, pago’l mondo.
    Per lei di nembi il ciel s’oscura indarno…

    Elle contente, content (soit) le monde. Pour elle c’est en vain que le ciel s’obscurcit de nuages, etc. Le premier vers est sans doute un ancien proverbe ; Mme de Sévigné cite ailleurs le second.