Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 3.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 111 —

1672


s’amuse à méditer où il va, nous ne dînerons pas sitôt ; mais je lui épargnerai la peine de faire cette méditation, en l’assurant qu’il va droit à la mort, et à une mort assez prompte, s’il fait votre métier (comme il y a beaucoup d’apparence). Je suis certaine que cette pensée ne l’empêchera pas de dîner : il est d’une trop bonne race pour être surpris d’une si triste nouvelle. Mais enfin je ne comprends pas qu’on puisse s’exposer mille fois (comme vous avez fait), et qu’on ne soit pas tué mille fois aussi. Je suis aujourd’hui bien remplie de cette réflexion. La mort de M. de Longueville, celle de Guitry, de Nogent, et de plusieurs autres ; les blessures de Monsieur le Prince, de Marsillac, de Vivonne, de Montrevel[1], de Revel[2], du comte de Sault, de Termes[3], et de mille gens inconnus, me donnent une idée bien funeste de la guerre. Je ne comprends point le passage du Rhin à nage. Se jeter dedans à cheval, comme des chiens après un cerf, et n’être ni noyé, ni assommé en abordant, tout cela passe tellement mon imagination que la tête m’en tourne. Dieu a conservé mon fils jusques ici ; mais peut-on compter sur ceux qui sont à la guerre ?

Adieu, mon cher cousin, je m’en vais dîner. Je trouve

  1. 2. Nicolas-Auguste de la Baume, marquis de Montrevel, maréchal en 1703, dernier fils du vieux comte de Montrevel, dont il est parlé dans la lettre du 31 mai 1675. Voyez cette lettre et celle du 4 septembre de la même année.
  2. 3. Charles-Amédée de Broglio, comte de Revel, frère du premier maréchal de Broglie. Il était alors colonel des cuirassiers. Voyez sur lui la lettre du 24 août 1689.
  3. 4. Voyez la note 3 de la lettre 199. — « Je ne sais par quel accident, dit Saint-Simon (tome IV, p. 243), il avoit un palais d’argent, qui lui rendoit la parole fort étrange ; mais ce qui surprenoit, c’est qu’il n’y paroissoit plus dès qu’il chantoit, avec la plus belle voix du monde…. Il avoit peu servi et avoit bonne réputation pour le courage. »