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1672

262. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce mercredi 6e avril.

Voilà le plus beau des éventails[1] que Bagnols destinoit à sa Chimène[2] ; je l’ai gagné avec plaisir, et j’ai aimé la fortune de cette petite complaisance qu’elle a eue pour moi, à point nommé. Divertissez-vous à le regarder avec attention ; recevez la visite du Pont-Neuf, votre ancien ami ; puisque vous ne voulez pas le venir voir, il va vous rendre ses devoirs : enfin je n’ai jamais rien vu de si joli. Mais si je suis contente de cette petite faveur de la fortune, je la hais bien d’ailleurs de me brouiller et de me déranger tous mes desseins. Je ne sais où j’en suis, par la maladie de ma tante. L’abbé et moi nous pétillons ; et nous sommes résolus, si son mal se tourne en langueur, de nous en aller en Provence ; car enfin où sont les bornes du bon naturel ? Pour moi, je ne sais que vous, et j’ai une telle impatience de vous aller voir, que mes sentiments pour les autres n’en ont pas bien toute leur étendue. Vous pouvez toujours être certaine et compter que j’ai plus d’envie de partir que vous n’en avez que je parte : vous croyez que c’est beaucoup dire, et je le crois aussi, mais je ne puis exagérer sur les sentiments que j’ai pour vous. Je ne manque pas de dire à ma tante tous vos aimables souvenirs : elle croit mourir bientôt, et suivant son humeur complaisante, elle se contraint jusqu’à la mort, et fait semblant d’espérer à des remèdes qui ne font plus rien, afin de ne pas désespérer ma cousine[3] ;

  1. Lettre 262 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la fin de la lettre.
  2. 2. À sa cousine, qu’il allait épouser à Pâques. Voyez l’apostille de Coulanges à la lettre du 17 février précédent, tome II, p. 507.
  3. 3. Mlle de la Trousse. Voyez tome II, p. 504, note 13.