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je me suis mirée dans sa lettre, mais je l’excuse mieux qu’on ne m’excusoit[1].

Ne croyez point, ma fille, que la maladie de Mme de la Fayette puisse m’arrêter : elle n’est pas en état de faire peur ; et puisque j’envisage bien de partir dans l’état où est ma tante, il faut croire que rien ne peut m’en empêcher. M. de Coulanges ne croyoit plus la revoir : il l’a trouvée méconnoissable. Elle ne prend plus de plaisir à rien ; elle est à demi dans le ciel : c’est une véritable sainte ; elle ne songe plus qu’à son grand voyage, et comprend fort bien celui que je vais faire : elle me donne congé d’un cœur déjà tout détaché de la terre, entrant dans mes raisons. Cela touche sensiblement ; et j’admire le contre-poids que Dieu veut mettre à la joie sensible que j’aurai de vous aller voir. Je laisserai ma tante à demi morte : cette idée blesse le cœur ; et j’emporterai une inquiétude continuelle de mon fils. Ah ! que voilà bien le monde ! Vous dites qu’il faut se désaccoutumer de souhaiter quelque chose ; ajoutez-y, et de croire être parfaitement contente[2]. Cet état n’est pas réservé pour les mortels.

Vous êtes donc à Grignan ? Eh bien, ma chère enfant, tenez-vous-y jusqu’à ce que je vous en ôte. Notre cher abbé pense comme moi, et la Mousse : vous ne vîtes jamais une petite troupe aller de si bon cœur à vous. Adieu, ma très-aimable, jusqu’à demain à Paris. Je m’en vais me promener et penser à vous très-assurément dans toutes ces belles allées, où je vous ai vue mille fois.


Vous me flattez trop, mon cher Comte : je ne prends

  1. 16. Voyez sur ce passage Walckenaer, tome IV, p. 206, 207.
  2. 17. « Et d’être parfaitement contente. » (Édition de 1754.)