Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 92 —
1671


été ! et que je vous aurois mal tenu ma parole, si je vous avois promis de n’être point effrayée d’un si grand péril ! Mais il est impossible de se représenter votre vie si proche de sa fin, sans frémir. Ce Rhône qui fait peur à tout le monde, ce pont d’Avignon où l’on a tort de passer même après avoir pris toutes ses mesures ! un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche. Par quel miracle n’avez-vous pas été brisés et noyés dans un moment ? Et M. de Grignan vous laisse embarquer pendant un orage ; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l’être encore plus que vous ; au lieu de vous faire attendre que l’orage soit passé, il veut bien vous exposer. Ah mon Dieu ! qu’il eût été bien mieux d’être timide, et de vous dire que si vous n’aviez point de peur, il en avoit lui, et de ne point souffrir que vous traversassiez le Rhône par un temps comme celui qu’il faisoit ! Que j’ai de peine à comprendre sa tendresse en cette occasion ! Je ne soutiens pas cette pensée, j’en frissonne, et je m’en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse. Trouvez-vous toujours que le Rhône ne soit que de l’eau ? De bonne foi, n’avez-vous point été effrayée d’une mort si proche et si inévitable ? Mais encore serois-je un peu consolée si cela vous rendoit moins hasardeuse à l’avenir, et si une aventure comme celle-là vous faisoit voir les dangers comme ils sont. Je vous prie de m’avouer ce qui vous en est resté ; je crois du moins que vous aurez rendu grâces à Dieu de vous avoir sauvée. Pour moi, je suis persuadée que les messes que j’ai fait dire tous les jours pour vous ont fait ce miracle, et je suis plus obligée à Dieu de vous avoir conservée dans cette occasion, que de m’avoir fait naître.

C’est à M. de Grignan que je m’en prends. Le Coadjuteur a bon temps : il n’a été grondé que pour la montagne de Tarare ; elle me paroît présentement comme les pentes de Nemours. M. Busche m’est venu voir tan-