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Réponse à la lettre de Vienne.

Je la reçois présentement cette aimable lettre ; ne voyez-vous point comme je la reçois, et avec quelle tendresse je la lis ? Je crois que vous ne me demandez pas que je puisse être de sang-froid en cette occasion.

Il est vrai que la dignité de beauté où vous avez été élevée n’est pas d’une petite fatigue. Si vous n’étiez point belle, vous vous reposeriez : il faut choisir. Votre paresse me fait peur ; ne la croyez pas sur ce choix : il n’y a rien de si aimable que d’être belle ; c’est un présent de Dieu qu’il faut conserver. Vous savez comme j’aime votre beauté ; mon amour-propre m’y fait prendre intérêt : je vous la recommande pour l’amour de moi. Il me semble qu’on me va trouver bien habile en Provence d’avoir fait un si joli visage, et si doux et si régulier. Vous êtes fâchée que votre nez ne soit pas de travers ; et moi, qui suis rangée, j’en suis ravie : je ne comprends pas ce que peuvent faire avec moi mes paupières bigarrées[1]. Mais ne croyez-vous point que M. de Coulanges et moi nous sommes sorciers, de deviner tout ce que vous faites ?

Mais parlons des bords de votre Rhône. Vous les trouvez beaux, et ce fleuve n’est composé que d’eau comme les autres. J’en suis surprise, j’en ai une idée extraordinaire ; il me semble qu’on devroit dire :

     Mille sources de sang forment cette rivière,
     Qui traînant des corps morts et de vieux ossements,
     Au lieu de murmurer, fait des gémissements[2].

Langlade vous rendra compte de sa visite chez Merlu-

  1. 10. Voyez la note 9 de la lettre 80.
  2. 11. Ce sont trois vers empruntés au début du Temple de la Mort, de Philippe Habert (voyez la note 4 de la lettre 28). Mme de Sévigné a changé le premier, qui dans Habert se lit ainsi :
         Mille sources de sang y font mille rivières.