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de la machine ronde ; c’est un relâchement de tous les soins ordinaires[1], pour vaquer à un seul ; c’est une satire perpétuelle contre les vieilles gens amoureux : « Vraiment il faudroit être bien fou, bien insensé : quoi, une jeune femme ! voilà une bonne pratique pour moi ! cela me conviendroit fort ! j’aimerois mieux m’être rompu les deux bras. » À cela on répond intérieurement : « Eh oui, tout cela est vrai ; mais vous ne laissez pas d’être amoureux. Vous nous dites vos réflexions ; elles sont justes, elles sont vraies, elles font votre tourment ; mais vous ne laissez pas d’être amoureux. Vous êtes tout plein de raisons ; mais l’amour est plus fort que toutes les raisons. Vous êtes malade, vous pleurez, vous enragez, et vous êtes amoureux. » Si vous conduisez à cette extrémité Monsieur de Vence[2], je vous prie, ma bonne, que j’en sois confidente. En attendant, vous ne sauriez avoir un plus agréable commerce : c’est un prélat d’un esprit et d’un mérite distingué ; c’est le plus bel esprit de son temps ; vous avez admiré ses vers, jouissez de sa prose ; il excelle en tout ; il mérite que vous en fassiez votre ami. Vous citez plaisamment cette dame qui aimoit à faire tourner la tête à des moines : ce seroit une bien plus grande merveille de la faire tourner à Monsieur de Vence, lui dont la tête est si bonne, si bien faite, si bien organisée : c’est un trésor

  1. 5. Dans l’édition de la Haye (1726) : « c’est la suspension de tous les ordinaires, etc., » c’est-à-dire de tous les courriers, pour n’entretenir qu’une seule correspondance.
  2. 6. Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, qui mourut le 21 du mois suivant. Il était cousin de Conrart, et fit des efforts inutiles pour lui faire quitter la religion réformée. Il contribua à l’établissement de l’Académie française, dont il fut l’un des premiers membres. Ce prélat, très-dévoué aux devoirs de l’épiscopat, se délassait de ses travaux par la culture des lettres. On a retrouvé quelques lettres qui lui étaient adressées par Mlle de Scudéry ; il y est appelé le Mage de Sidon.