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1672

253. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Livry, mardi 1er mars.

Je commence ma lettre aujourd’hui, ma fille, jour de mardi gras ; je l’achèverai demain. Si vous êtes à Sainte-Marie, je suis chez notre abbé, qui a depuis deux jours un petit dérèglement qui lui donne de l’émotion. Je n’en suis pas encore en peine ; mais j’aimerois mieux qu’il se portât tout à fait bien. Mme de Coulanges et Mme Scarron me vouloient mener à Vincennes ; M. de la Rochefoucauld vouloit que j’allasse chez lui entendre lire une comédie de Molière[1] ; mais en vérité, j’ai tout refusé avec plaisir ; et me voilà à mon devoir, avec la joie et la tristesse de vous écrire : il y a longtemps en vérité que je vous écris. Vous êtes donc à Sainte-Marie, ne voulant pas laisser échapper un moment de la douleur que vous avez de la mort du pauvre Chevalier. Vous la voulez sentir à longs traits, sans en rien rabattre, sans aucune distraction. Cette application à faire valoir et à vouloir sentir toute votre tristesse, me paroît d’une personne triste, qui n’est pas si embarrassée qu’une autre[2] d’avoir des occasions de s’affliger ; j’en prends à témoin votre cœur.

  1. Lettre 253. — 1. Il est vraisemblable que c’était la comédie des Femmes savantes, dont la première représentation eut lieu sur le théâtre du Palais-Royal le 11 mars 1672. Voyez l’Histoire du Théâtre françois, tome XI, p. 208, et la note 16 de la lettre 255.
  2. 2. Mme de Sévigné songeait peut-être à la comtesse de Fiesque, qui avait perdu sa fille au mois de janvier précédent. Mme de Scudéry écrivait à Bussy, le 15 janvier : « La comtesse de Fiesque s’est mise dans un couvent à celle (à la mort) de Mme de Guerchi, sa fille… La Comtesse est bien embarrassée d’une affliction ; » et Bussy lui répondait le 22 : « Je plains bien la pauvre Comtesse d’avoir perdu sa fille et d’être obligée d’être triste ; je crois que sa joie lui est bien aussi chère que ses enfants. »