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1671

131. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 6e février.

Ma douleur seroit bien médiocre si je pouvois vous la dépeindre ; je ne l’entreprendrai pas aussi. J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie[1], toujours pleurant et toujours mourant : il me sembloit qu’on m’arrachoit le cœur et l’âme ; et en effet, quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d’être seule ; on me mena dans la chambre de Mme du Housset, on me fit du feu ; Agnès me regardoit[2] sans me parler, c’étoit notre marché ; j’y passai jusqu’à cinq heures sans cesser de sangloter : toutes mes pensées me faisoient mourir. J’écrivis à M. de Grignan, vous pouvez penser sur quel ton. J’allai ensuite chez Mme de la Fayette[3], qui redoubla mes douleurs par la part qu’elle y prit. Elle étoit seule, et malade, et triste de la mort d’une sœur religieuse : elle étoit comme je la pouvois desirer. M. de la Rochefoucauld y vint ; on ne parla que de vous, de la raison que j’avois d’être touchée, et du dessein de parler comme il faut à Merlusine[4]. Je vous réponds qu’elle sera bien re-

  1. Lettre 131. — 1. Au couvent de la Visitation du faubourg Saint-Jacques. Les filles de Sainte-Marie y étaient entrées dès le 13 août 1626. C’est aujourd’hui la maison de refuge des dames de Saint-Michel. Voyez le commencement de la lettre du 29 janvier 1672.
  2. 2. Dans l’édition de 1754 : « me gardoit. »
  3. 3. Voyez la note 7 de la lettre suivante.
  4. 4. Françoise de Montallais, veuve, depuis 1665, de Jean de Bueil, comte de Marans, grand échanson de France. Elle était sœur de Mlle de Montallais, ancienne fille d’honneur de Madame Henriette. Mme de Sévigné et sa fille lui avaient donné pour sobriquet le nom de la méchante fée Merlusine ou Mellusine, célèbre dans nos vieux romans par ses cris perçants et ses funestes prédictions : l’ancienne