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pour Lyon comme je vous l’ai mandé ; le Roi lui fit dire par le maréchal de Créquy qu’il s’éloignât : on croit que c’est pour quelques discours chez Mme la Comtesse[1] ; enfin,

L’on parle d’eaux, de Tibre, et l’on se tait du reste[2].

Le Roi demanda à Monsieur, qui revenoit de Paris : « Eh bien, mon frère, que dit-on à Paris ? » Monsieur lui dit : « Monsieur, on parle fort de ce pauvre marquis. — Et qu’en dit-on ? — On dit, Monsieur, que c’est qu’il a voulu parler pour un autre malheureux. — Et quel malheureux ? dit le Roi. — Pour le chevalier de Lorraine[3], dit Monsieur. — Mais, dit le Roi, y songez-vous encore, à ce chevalier de Lorraine ? vous en souciez-vous ? aimeriez-vous bien quelqu’un qui vous le rendroit ? — En vérité, Monsieur, répondit Monsieur, ce seroit le plus sensible plaisir que je pusse recevoir en ma vie. — Eh bien, dit le Roi, je veux vous faire ce présent. Il y a deux jours que le courrier est parti : il reviendra ; je vous le redonne, et veux que vous m’ayez toute votre vie cette obligation, et que vous l’aimiez pour l’amour de moi. Je fais plus, car je le fais maréchal de camp dans mon armée. » Là-dessus, Monsieur se jeta aux pieds du Roi, lui embrassa longtemps les genoux, et lui baisa une main avec une joie sans égale. Le Roi le releva et lui dit : « Mon frère, ce n’est pas ainsi que des frères se doivent

  1. 6. La comtesse de Soissons. — Olympe Mancini, la nièce de Mazarin, la mère du prince Eugène, avait épousé en 1657 Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons, fils puîné du prince de Carignan. Veuve en 1673, elle mourut à Bruxelles en octobre 1708. Voyez la fin de la lettre du 24 janvier 1680.
  2. 7. Vers du Cinna de Corneille, déjà cité plus haut, p. 185.
  3. 8. Philippe, second fils du célèbre comte d’Harcourt ; frère puîné du comte d’Armagnac, et aîné du comte de Marsan ; né en 1643, mort en 1702.