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mourir dans ce jardin, où je vous ai vue mille fois[1]. Je ne veux point vous dire en quel état je suis : vous avez une vertu sévère[2], qui n’entre point dans la foiblesse humaine. Il y a des jours, des heures, des moments où je ne suis pas la maîtresse ; je suis foible, et ne me pique point de ne l’être pas : tant y a, je n’en puis plus, et pour m’achever, voilà un homme que j’avois envoyé chez le chevalier de Grignan, qui me dit qu’il est extraordinairement mal. Cette pitoyable nouvelle n’a pas séché mes yeux. Je crois qu’il dispose de ce qu’il a en votre faveur : gardez-le, quoique ce soit peu, pour une marque de sa tendresse, et ne le donnez point, comme votre cœur le voudroit : il n’y a pas un de vos beaux-frères qui, à proportion, ne soit plus riche que vous. Je ne vous puis dire le déplaisir que j’ai dans la crainte de cette perte. Hélas ! un petit aspic, comme M. de Rohan[3], revient de la mort ; et cet aimable garçon, bien né, bien fait, de bon naturel, d’un bon cœur, dont la perte ne fait de bien[4] à personne, nous va périr entre les mains ! Si j’étois libre, je ne l’aurois pas abandonné, je ne crains point son mal ; mais je ne fais pas sur cela ma volonté. Vous recevrez cet ordinaire des lettres écrites plus tard, qui vous parleront plus précisément de ce malheur. Pour moi, je me contente de le sentir.

Voilà une permission de vendre et de transporter vos bleds[5]. M. le Camus l’a obtenue, et y a joint une lettre de lui. Je n’ai jamais vu un si bon homme, ni plus vif sur

  1. Lettre 244 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 15 de la lettre 144.
  2. 2. Dans le manuscrit : sincère, au lieu de sévère ; et sept lignes plus bas : desséché, au lieu de séché.
  3. 3. Dans les éditions de 1726 : M. de Mirepoix. — Voyez p. 481.
  4. 4. Dans le manuscrit : « ne fait bien. »
  5. 5. Sans doute la levée de quelque prohibition gênant le commerce des grains en Provence.