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été. Ma belle-fille[1] m’a paru la plus merveilleuse comédienne que j’aie jamais vue : elle surpasse la Desœillets[2] de cent lieues loin[3] ; et moi, qu’on croit assez bonne pour le théâtre[4], je ne suis pas digne d’allumer les chandelles quand elle paroît. Elle est laide de près, et je ne m’étonne pas que mon fils ait été suffoqué par sa présence ; mais quand elle dit des vers, elle est adorable. Bajazet est beau ; j’y trouve quelque embarras sur la fin ; il y a bien de la passion, et de la passion moins folle que celle de Bérénice : je trouve cependant, à mon petit sens[5], qu’elle ne surpasse pas Andromaque ; et pour ce qui est des belles comédies de Corneille, elles sont autant au-dessus, que votre idée étoit au-dessus de[6]… Appliquez, et ressou-

  1. 2. C’est-à-dire, la Champmeslé, comédienne que le marquis de Sévigné, son fils, avoit aimée. On prétend qu’elle n’avoit point d’esprit, mais que Racine, qui en étoit amoureux, lui apprenoit les tons machinalement. (Note de Perrin, 1754 ; dans l’édition de 1734, il écrit Chammelay : c’était sans doute ainsi qu’on prononçait.) — Dans l’édition de 1725, on lit dans le texte : « Ma belle-fille la Chammelai, » et en note, pour expliquer le mot belle-fille, la niaiserie que voici : « L’abbé de Grignan entretenoit alors la Chammelai. » C’est le mot belle-sœur, qu’on trouve un peu plus loin, qui a suggéré cette ingénieuse explication.
  2. 3. La Desœillets, autre comédienne célèbre de ce temps-là, était morte, à quarante-neuf ans, le 25 octobre 1670. Assistant aux débuts de la Champmeslé dans le rôle d’Hermione (1670), elle s’était elle-même écriée, dit-on : « Il n’y a plus de Desœillets. » — Les deux filles de la Desœillets se firent religieuses : voyez la lettre du 22 avril 1676.
  3. 4. C’est le texte du manuscrit. On lit dans toutes les éditions : « La plus miraculeusement bonne comédienne que j’aie jamais vue : elle surpasse la Desœillets de cent mille piques. »
  4. 5. Mme de Sévigné jouait donc quelquefois la comédie. Voyez la fin de la lettre 73.
  5. 6. C’est le texte de 1725, 1726 et 1734. Dans l’édition de 1754, Perrin a supprimé petit. Dans le manuscrit on lit : « Selon mon goût. »
  6. 7. Cette réticence est dans toutes les éditions. Seulement dans les premières (1725 et 1726) il y a au-dessous pour au-dessus. Dans le manuscrit, la phrase est toute différente : « Elles sont autant au-