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1671

128. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 23e janvier 1671.

Voilà, mon cousin, tout ce que l’abbé de Coulanges sait de notre maison, dont vous avez dessein de faire une petite histoire. Je voudrois que vous n’eussiez jamais fait que celle-là. Nous sommes très-obligés à M. du Bouchet : il nous démêle fort et nous fait valoir en des occasions qui font plaisir. En vérité, c’est peu de n’avoir que moi pour représenter ici le corps des Rabutins. Je suis transplantée, et ce que l’on dit soi-même, outre qu’on ne voudroit guère souvent parler sur ce chapitre, ne fait pas un grand effet[1].

On me vient de conter une aventure extraordinaire qui s’est passée à l’hôtel de Condé, et qui mériteroit de vous être mandée, quand nous n’y aurions pas l’intérêt que nous y avons. La voici : Madame la Princesse[2] ayant pris il y a quelque temps de l’affection pour un de ses valets de pied nommé Duval[3], celui-ci fut assez fou pour souffrir impatiemment la bonne volonté qu’elle

  1. Lettre 128. — 1. Dans notre manuscrit, tout ce commencement de la lettre est réduit à une seule phrase : « Je loue fort le dessein que vous avez pris de faire une petite histoire de notre maison : je voudrois que vous n’eussiez jamais fait que cela. »
  2. 2. La princesse de Condé, Claire-Clémence de Maillé Brezé, était nièce de Richelieu : le grand Condé, alors duc d’Enghien, l’avait épousée malgré lui en 1641. Elle mourut en 1694 à Châteauroux, où elle fut reléguée à la suite de cette aventure. Mademoiselle, dans ses Mémoires (tome IV, p. 254 et suivantes), et Mme de Montmorency, dans une lettre qu’elle écrit à Bussy, le 25 février suivant, racontent cette anecdote d’une manière plus favorable au caractère de la princesse de Condé.
  3. 3. Mme de Montmorency dit que ce Duval avait été valet de pied de la princesse, mais ne l’était plus, et qu’elle « lui donnoit pension par une manière de pitié. »