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malheurs-là ne sont pas faits pour moi. » Il dit qu’il est très-innocent à l’égard du Roi ; mais que son crime est d’avoir des ennemis trop puissants. Le Roi n’a rien dit, et ce silence déclare assez la qualité de son crime. Il crut que l’on le laisseroit à Pierre-Encise[1], et commençoit à Lyon à faire ses compliments à M. d’Artagnan[2] ; mais quand il sut qu’on le menoit à Pignerol, il soupira, et dit : « Je suis perdu. » On avoit grand’pitié de sa disgrâce dans les villes où il passoit. Pour vous dire le vrai, elle est extrême.
Le Roi envoya querir le lendemain M. de Marsillac, et lui dit : « Je vous donne le gouvernement de Berri qu’avoit Lauzun. » Marsillac répondit : « Sire, Votre Majesté, qui sait mieux les règles de l’honneur que personne du monde, se souvienne, s’il lui plaît, que je n’étois pas ami de M. de Lauzun ; qu’elle ait la bonté de se mettre un moment en ma place, et qu’elle juge si je dois accepter la grâce qu’elle me fait. » Le Roi lui dit : « Vous êtes trop scrupuleux, Monsieur le prince : j’en sais autant qu’un autre là-dessus ; mais vous n’en devez faire aucune difficulté. — Sire, puisque Votre Majesté l’approuve, je me jette à ses pieds pour la remercier. — Mais, dit le Roi, je vous ai donné une pension de douze mille francs, en attendant que vous eussiez quelque chose de mieux. — Oui, Sire, je la remets entre vos mains. — Et moi, dit le Roi, je vous la redonne encore une fois, et je m’en vais vous faire honneur de vos beaux sentiments. » En disant cela, il se tourna vers les ministres, leur conta les scrupules de M. de Marsillac, et dit : « J’admire la différence ; jamais Lauzun n’avoit daigné me remercier du