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de toutes vos perfections. Savez-vous hien que je suis plus entêté de-vous que jamais, et que je suis. tout prêt de prendre la place du chevalier de Breteuil[1] ? Je sais que cette place ne plaît point à M. de Grignan, et c’est ce qui me retient dans une si grande entreprise. En vérité, Madame la Comtesse, vous êtes un chef-d’œuvre de la nature, et c’est de ce mot dont je me sers pour parler de vous. Je fus hier chez M. de la Rochefoucauld ; je m’y trouvai en tiers avec lui et M. de Longueville ; il y fut beaucoup question de la Provence, et le tout pour parler de vous[2]. Adieu, ma belle Comtesse, je vous vois d’ici dans votre lit : que vous y êtes belle ! je vois votre chambre, je vois cet homme dans votre tapisserie, qui découvre sa poitrine : croyez que si vous voyiez la mienne à l’heure qu’il est, vous verriez mon cœur comme vous voyez le sien : il est à vous, ce cœur ; il languit pour vous ; mais ne le dites pas à M. de Grignan. Votre fille est une petite beauté brune, fort jolie : la voilà, elle me baise et me bave[3], mais elle ne crie jamais ; elle est belle ; mais je l’aime assurément beaucoup moins que vous. Il n’y a plus moyen de parler de vous à cette mère-beauté, les grosses larmes lui tombent des yeux : mon Dieu, quelle mère !

  1. 7. Parmi les enfants de Louis le Tonnelier de Breteuil, ancien intendant de Languedoc, contrôleur général des finances, etc., on trouve après l’aîné (qui fut conseiller d’État et père de celui que le cardinal Dubois fit en 1723 secrétaire d’État de la guerre), trois chevaliers de Malte : Antoine, reçu en 1650, mort en 1696, à Avignon, commandeur de cet ordre et chef d’escadre des galères du Roi ; Louis, reçu en 1660, mort en 1712, également commandeur, et maréchal de camp des armées du Roi ; Jean-Baptiste, reçu en 1662, mort en 1668.
  2. 8. Dans l’édition de la Haye et dans celles de Perrin : « Il ne fut question que de Provence et du bel astre qui y brille. »
  3. 9. C’est le texte de l’édition de la Haye et de celles de Perrin ; dans le manuscrit on lit ici : « elle me baise fort malproprement », et, trois lignes plus bas : « à cette adorable mère. »