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M. le Coadjuteur) sur ce sujet. Cette affaire s’est retardée d’un jour à l’autre, et ne se fera peut-être que dans huit jours. Cependant je vois ma fille dans une telle impatience de partir, que ce n’est pas vivre que le temps qu’elle passe ici présentement ; et si le Coadjuteur ne quitte là cette noce, je la vois disposée à faire une folie, qui est de partir sans lui. Ce seroit une chose si étrange d’aller seule, et c’est une chose si heureuse pour elle d’aller avec son beau-frère, que je ferai tous mes efforts pour qu’ils ne se quittent pas. Cependant les eaux s’écouleront un peu. Je veux vous dire de plus que je ne sens point le plaisir de l’avoir présentement : je sais qu’il faut qu’elle parte ; ce qu’elle fait ici ne consiste qu’en devoirs et en affaires. On ne s’attache à nulle société ; on ne prend aucun plaisir ; on a toujours le cœur serré ; on ne cesse de parler des chemins, des pluies, des histoires tragiques de ceux qui se sont hasardés. En un mot, quoique je l’aime comme vous savez, l’état où nous sommes à présent nous pèse et nous ennuie. Ces derniers jours-ci n’ont aucun agrément. Je vous suis très-obligée, mon cher Comte, de toutes vos amitiés pour moi, et de toute la pitié que je vous fais. Vous pouvez mieux que nul autre comprendre ce que je souffre, et ce que je souffrirai. Je suis fâchée pourtant que la joie que vous aurez de la voir puisse être troublée par cette pensée. Voilà les changements et les chagrins dont la vie est mêlée. Adieu, mon très-cher Comte, je vous tue par la longueur de mes lettres ; j’espère que vous verrez le fonds qui me les fait écrire.