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lieue ou deux à pied aussi bien que Madame[1]. Pour la Mousse, il court comme un perdu ; il est un peu embarrassé de ne pas bien dormir, car il ne sait point n’être pas à son aise. Je partis donc mercredi, comme je vous l’avois mandé. Je vins à Loresse, où l’on me donna deux chevaux ; je consentis à la violence qu’on me fit pour les accepter. Nous avons quatre chevaux à chaque calèche : cela va comme le vent. Vendredi j’arrive à Laval, j’arrête à la poste ; je vois arriver justement cet honnête homme, cet homme si obligeant, crotté jusqu’au cul, qui m’apportoit votre lettre ; je pensai l’embrasser. Vous jugez bien, à m’entendre parler ainsi, que je ne suis point en colère contre la poste. En effet, ce n’est point elle qui a eu tort. C’est assurément, comme vous avez dit, des ennemis du petit Dubois, qui le voyant se vanter de notre commerce, et se panader[2] dans les occupations qu’il lui donnoit, ont pris plaisir à lui donner le déplaisir de lui dérober nos lettres. D’abord je ne m’en suis pas aperçue, parce que je croyois que vous ne m’écriviez qu’une fois la semaine ; mais quand j’ai su que vous m’écriviez deux, il seroit malaisé de vous exprimer les regrets et les douleurs que j’ai eus de cette perte. Je reviens à la joie que j’eus de recevoir vos deux lettres dans un même paquet, de la main crottée de ce postillon. Je vis défaire la petite malle devant moi ; et en même temps, frast, frast, je démêle le mien, et je trouve enfin, ma fille, que vous vous portez bien. Vous m’écrivez dans la lettre d’Adhémar ; et puis vous m’écrivez de votre chef au coin de votre feu, le seizième de votre couche. Rien n’est pareil à la joie sensible

  1. Lettre 228. — 1. Voyez la lettre 224, p. 423 et 424.
  2. 2. Se panader, se pavaner, se carrer. L’Académie n’a admis dans son dictionnaire qu’en 1762 ce verbe familier employé par Voiture et par la Fontaine (voyez le Geai, etc., livre IV, fable ix). Il se trouve dans le Dictionnaire de Furetière (1690).