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vous toute sa vie[1]. Cette éternité vous fait peur, comme à moi d’aller en litière avec quelqu’un : je ne veux point vous dire la seule personne du monde avec qui j’y voudrois aller. Je suis fort aise de connoitre Jacquemart et Marguerite[2] : il me semble que je suis avec vous tous, et il me semble que je vous vois et M. de Coulanges. Il faut avouer que vous êtes une honnête femme de vous ajuster comme vous faites en Provence avec votre mari, et d’avoir passé neuf mois avec nous à Paris, comme une vraie demoiselle de Lorraine : vous souvient-il de ce manteau noir, dont vous nous honoriez tous les jours[3] ? J’espère que je renouvellerai tous vos ajustements quand j’arriverai à Grignan ; mais point de grossesse, mon cher Grignan, je vous en conjure tendrement ; ayez pitié de votre aimable femme, laissez-la reposer comme une bonne terre ; si vous me le promettez, je vous aimerai de tout mon cœur. Je comprends, ma fille, la crainte que vous avez de perdre votre premier président[4] ; votre imagination va vite, car il n’est point en danger. Voilà les tours que me fait la mienne à tout moment : il me semble toujours que tout ce que j’aime, tout ce qui m’est bon, va m’échapper ; et cela donne de telles tristesses à mon cœur, que si elles étoient continuelles comme elles sont vives, je n’y pourrois pas résister. Sur cela il faut faire des actes de résignation à l’ordre et la volonté de Dieu. M. Nicole n’est-il pas encore admirable là-dessus[5] ? J’en suis charmée, je n’ai rien vu de pareil. Il est vrai que c’est

  1. 2. Dans l’édition de 1754 — « à consentir que Coulanges s’en aille demain, plutôt qu’à demeurer avec vous toute sa vie. »
  2. 3. C’est ainsi qu’on nomme à Lambesc les deux figures qui frappent les heures à l’horloge du beffroi de cette ville. (Note de Perrin.)
  3. 4. Voyez la lettre du 21 juin précédent, p. 249.
  4. 5. M. de Forbin d’Oppède ; il mourut le 14 novembre.
  5. 6. Voyez dans le tome I des Essais de morale, le traité de la Soumission à la volonté de Dieu.