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mangions de ce divin muscat, sans crainte de la colique. Nous ne pensons qu’à notre voyage ; et si notre abbé vous peut être bon à quelque chose, il sera au comble de ses desirs. Vous nous souhaitez, il n’en faut pas tant pour nous faire voler vers vous. Nous quitterons les Rochers à la fin du mois qui vient. Il me semble que ce sont les premiers pas, et j’en sens de la joie : j’en aurai beaucoup si vous arrivez à Aix en bonne santé.

Je ne trouve pas bien prudent d’avoir fait ce voyage de Lambesc au milieu de votre sept[1]. Mais quelle folie de s’appeler M. et Mme de Grignan, et le chevalier de Grignan[2], et vous venir faire la révérence ? Qu’est-ce que ces Grignans-là ? Pourquoi n’êtes-vous pas uniques en votre espèce ? Celle de vos scorpions me fait grand’peur ; vous savez bien au moins que leur piqûre est mortelle. Je suis persuadée que puisque vous avez des bâtiments pour vous garantir du chaud, vous n’êtes point aussi sans de l’huile de scorpion, pour vous servir de contre-poison[3]. Je ne connoissois la Provence que par les grenadiers, les orangers et les jasmins : voilà comme on nous la dépeint. Pour nous, ce sont des châtaignes qui font notre ornement ; j’en avois l’autre jour trois ou quatre paniers autour de moi ; j’en fis bouillir, j’en fis rôtir, j’en mis dans ma poche : on en sert dans les plats, on marche dessus ; c’est la Bretagne dans son triomphe.

  1. Lettre 210. — 1. Voyez la note 2 de la lettre 200.
  2. 2. Il y a une ancienne maison établie à Salon, qui porte le nom de Grignan. (Note de Perrin, 1734.) — Dans l’édition de 1754, la note est ainsi modifiée : « Ils étoient d’une maison ancienne. dont le nom étoit… » ce qui semblerait indiquer que, depuis 1734, cette famille s’était éteinte. On nous assure qu’elle existe encore et porte le nom de Grignan de Grignan.
  3. 3. « Pour guérir les piqûres des scorpions, il faut, dit le Dictionnaire de Trévoux, les écraser sur la plaie, et on y applique aussi de l’huile où l’on a fait mourir des scorpions. »