Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 382 —

1671


Voilà de quoi je suis pleine et de quoi je remplis cette lettre, n’ayant pas beaucoup d’autres sujets.

Je vous crois à Lambesc, ma bonne ; mais je ne vous vois pas bien d’ici : il y a des ombres dans mon imagination qui vous couvrent à ma vue. Je m’étois fait le château de Grignan, je voyois votre appartement, je me promenois sur votre terrasse, j’allois à la messe dans votre belle église ; mais je ne sais plus où j’en suis. J’attends avec grande impatience des nouvelles de ce lieu-là et des nouvelles de l’Évêque. Il y avoit dans mon dernier paquet une lettre qui me donnoit beaucoup d’espérance. Quoique vous ayez été deux ordinaires sans m’écrire, j’espère un peu d’avoir vendredi une lettre de vous, et si je n’en ai point, vous avez été si prévoyante, que je n’en serai point en peine. Il y a des soins, comme par exemple celui-là, qui marquent tant de bonté, de tendresse et d’amitié, qu’on en est charmé. Adieu[1], ma très-chère et très-aimable ; je ne veux point vous écrire davantage aujourd’hui, quoique mon loisir soit grand. Je n’ai que des riens à vous mander ; c’est abuser d’une lieutenante générale qui tient les états, et qui n’est pas sans affaires. Cela est bon quand vous êtes dans votre palais d’Apollidon[2]. Notre abbé, notre Mousse, sont toujours tout à vous ; pour moi, ma bonne, vous êtes mon cœur et ma vie. Seposto ho il cor nelle sue mani ; a lei starà di farsi amar quanto le piace[3].

Après avoir été tout le temps que je suis ici sans recevoir aucune lettre de Corbinelli, enfin j’en ai reçu une qui me fait voir que toutes ses lettres ont été perdues

  1. 2. Dans l’édition de Rouen (1726), on lit Amen, au lieu d’Adieu.
  2. 3. Voyez la dernière note de la lettre du 21 juin précédent.
  3. 4. J’ai remis mon cœur entre vos mains ; il ne tiendra qu’à vous de vous faire aimer autant qu’il vous plaira. — Cette phrase italienne se lit dans l’édition de la Haye ; elle manque dans le manuscrit.