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moi mes petites entrailles ; et au printemps, si Dieu me prête vie, je verrai la Provence : l’abbé le souhaite pour vous aller voir avec moi, et vous ramener. Il y aura bien longtemps que vous serez en Provence. Il est vrai qu’il ne faudroit s’attacher à rien, et qu’à tout moment on se trouve le cœur arraché dans les grandes et les petites choses ; mais le moyen ? Il faut donc toujours avoir cette Morale dans les mains, comme du vinaigre au nez, de peur de s’évanouir. Je vous avoue, ma bonne, que mon cœur me fait bien souffrir ; j’ai bien meilleur marché de mon esprit et de mon humeur. Je[1] suis très-contente de votre amitié. Ne croyez pas au moins que je sois trop délicate et trop difficile. Ma tendresse me pourroit rendre telle, mais je ne l’ai jamais écoutée ; et quand elle n’est point raisonnable je la gourmande ; mais croyez-moi de bonne foi ; et dans le temps que je vous aime le plus, et que je crois que vous m’aimez, croyez que les choses qui m’ont touchée auroient touché qui que ce soit au monde. Je vous dis tout cela pour vous ôter de l’esprit qu’il y ait aucune peine à vivre avec moi, ni qu’il faille des observations fatigantes. Non, ma bonne, il faut faire comme vous faites, et comme vous avez su si bien faire quand vous avez voulu : cette capacité qui est en vous rendroit le contraire plus douloureux. Mais où vais-je ? Comptez au moins que vous ne perdez aucune de vos tendresses pour moi : je vois et je sens tout, et j’ai toute l’application qui est inséparable de la grande amitié.

Je vous trouve admirable de faire des portraits de moi dont la beauté vous étonne vous-même. Savez-vous bien que vous vous jouez à me trouver médiocre, de la der-

  1. 9. Le passage qui suit jusqu’à la fin de l’alinéa ne se trouve que dans les éditions de 1726. On a supprimé avec soin, dans celles de 1734 et de 1754, les traces des mésintelligences qui ont pu exister entre la mère et la fille. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.