Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 364 —

1671

quera ; et nous donnerions toutes choses pour avoir un ou deux jours que nous perdons avec tant d’insensibilité : voilà de quoi je m’entretiens quelquefois dans ce mail que vous connoissez. La morale chrétienne est excellente à tous les maux ; mais je la veux chrétienne : elle est trop creuse et trop inutile autrement. Ma Mousse me trouve quelquefois assez raisonnable là-dessus ; et puis un souffle, un rayon de soleil emporte toutes les réflexions du soir. Nous parlons quelquefois de l’opinion d’Origène[1] et de la nôtre : vous aurez peine à nous faire entrer une éternité de supplices dans la tête, à moins que d’un ordre du Roi ou de la sainte Ecriture[2].

Je suis fort aise que vous ayez trouvé cette requête[3] jolie. Sans être aussi habile que vous, je l’ai entendue ver discrezione[4], et l’ai trouvée admirable. La Mousse

  1. 2. Parmi les opinions condamnées par l’Église dans les œuvres d’Origène, une des principales (qu’elle soit de lui ou qu’il faille l’imputer aux hérétiques qui ont, dit-on, altéré ses écrits) est la négation de l’éternité des peines.
  2. 3. Perrin a remplacé ces derniers mots : « à moins que d’un ordre du Roi ou de la sainte Écriture, » par ceux-ci : « à moins que la soumission n’arrive au secours. »
  3. 4. Avec sa lettre du 6 septembre, Mme de Sévigné avait envoyé à sa fille l’Arrêt burlesque de Boileau pour le maintien de la doctrine d’Aristote. On voit ici que dans cet envoi l’arrêt était accompagné de la requête à laquelle il sert de réponse. Brossette, dans ses Commentaires sur Boileau (tome III, p. 402, Amsterdam, 1772), croyait, sur l’autorité d’un manuscrit, que l’arrêt burlesque avait été composé le 12 août 1671. Ces deux lettres de septembre confirmeraient cette opinion. Il existe de l’arrêt précédé de la requête une édition de la Haye de 1671, et il y est dit qu’elle a été faite sur la copie imprimée à Paris. Cette impression de Paris est sans doute de la fin d’août ou du commencement de septembre, à moins qu’on ne suppose que Mme de Sévigné avait envoyé à sa fille une copie manuscrite.
  4. 5. Intender per discrezione, c’est deviner, comprendre par discernement, par conjecture : conjectura augurari, comme dit le Dictionnaire de la Crusca.