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rables, et de Caron pas un mot[1], c’est-à-dire, rien pour moi ; car je ne sais pas demander sans raison.

Voici ce que je fis l’autre jour : vous savez comme je suis sujette à me tromper ; je vis avant dîner, chez M. de Chaulnes, un homme au bout de la salle, que je crus être le maître d’hôtel ; j’allai à lui, et lui dis : « Mon pauvre Monsieur, faites-nous dîner, il est une heure, je meurs de faim. » Cet homme me regarde, et me dit : « Madame, je voudrois être assez heureux pour vous donner à dîner chez moi ; je me nomme Pécaudière, ma maison n’est qu’à deux lieues de Landernau. » Mon enfant, c’étoit un gentilhomme de basse Bretagne : ce que je devins n’est pas une chose qu’on puisse redire ; je ris encore en vous l’écrivant.

Voilà une pièce que M. de Chaulnes vous envoie : je la crois de Pellisson ; d’autres disent de Despréaux[2] ; dites-m’en votre avis. Pour moi, je vous avoue que je la trouve parfaitement belle ; lisez-la avec attention, et voyez combien il y a d’esprit. J’ai mille compliments à vous faire de tout le monde. On a donné cent mille écus de gratifications : deux mille pistoles à M. de Lavardin,

    aux Bénédictins de Vitré, et hypothéqua cette rente ou pension sur la Tour de Sévigné. Ce don fut sans doute fait en reconnaissance des réparations exécutées aux frais de la province à la grosse tour qui donnait son nom à la maison de Vitré. Voilà pourquoi elle dit : « J’ai fait un pensionnaire. » — C’est possible, mais il se pourrait tout aussi bien qu’il s’agît simplement d’une pension obtenue directement des états pour quelqu’un de ces misérables dont parle ici la marquise.

  1. 7. Allusion à un passage du dialogue de Lucien qui a pour titre : Caron ou le Contemplateur, et que Mme de Sévigné cite ici d’après la traduction de Perrot d’Ablancourt (tome I, p. 191, Paris, 1660) : « Dieux ! qu’est-ce des pauvres mortels ! (s’écrie le nocher des enfers en voyant les vaines agitations des hommes). Rois, lingots, sacrifices, combats, et de Caron (c’est-à-dire de moi), pas un mot !  »
  2. 8. C’était l’Arrêt burlesque de Boileau. pour le maintien de la doctrine d’Aristote : voyez la note 4 de la lettre 204.