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admiration. J’admire comme le souvenir de certains temps fait de l’impression sur l’esprit, soit en bien, soit en mal ; je me représente cette automne-là délicieuse, et puis j’en regarde la fin avec une horreur qui me fait suer les grosses gouttes[1] ; et cependant il faut remercier Dieu du bonheur qui vous tira d’affaire. Les réflexions que vous faites sur la mort de M. de Guise[2] sont admirables ; elles m’ont bien creusé les yeux dans mon mail ; car c’est là où je rêve à plaisir. Le pauvre la Mousse a eu mal aux dents ; de sorte que depuis longtemps je me promène toute seule jusqu’à la nuit, et Dieu sait à quoi je ne pense point. Ne craignez point pour moi l’ennui que me peut donner la solitude ; hors les maux qui viennent de mon cœur, contre lesquels je n’ai point de forces, je ne suis à plaindre sur rien : mon humeur est heureuse, et s’accommode et s’amuse de tout ; et je me trouve mieux d’être ici toute seule que du fracas de Vitré. Il y a huit jours que je suis ici, dans une paix qui m’a guérie d’un rhume épouvantable ; j’ai bu de l’eau, je n’ai point parlé, je n’ai point soupé ; et quoique je n’en aie point raccourci mes promenades, je me suis guérie. Mme de Chaulnes, Mlle de Murinais, Mme Fourché[3], et une fille de Nantes fort bien faite, vinrent ici jeudi. Mme de Chaulnes entra en me disant qu’elle ne pouvoit être plus longtemps sans me voir, que toute la Bretagne lui pesoit sur les épaules, et qu’enfin elle se mouroit. Làdessus elle se jette sur mon lit ; on se met autour d’elle ; et en un moment la voilà endormie de pure fatigue : nous causons toujours ; enfin elle se réveille, trouvant plaisante et adorant l’aimable liberté des Rochers. Nous

  1. 3. Voyez la note 10 de la lettre précédente.
  2. 4. Le duc de Guise était mort de la petite vérole le 30 juillet précédent.
  3. 5. Femme d’un député aux états. Voyez la lettre 191, p. 309.