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qu’on nous avoit assuré qui levoit la paille. Ma foi, elle étoit ridicule et faisoit des haut-le-corps qui nous faisoient éclater de rire ; mais il y avoit d’autres danseuses et d’autres danseurs qui nous ravissoient.

Si vous me demandez comme je me trouve ici après tout ce bruit, je vous dirai que j’y suis transportée de joie. J’y serai pour le moins huit jours, quelque façon qu’on me fasse pour me faire retourner. J’ai un besoin de repos qui ne se peut dire, j’ai besoin de dormir, j’ai besoin de manger (car je meurs de faim à ces festins), j’ai besoin de me rafraîchir, j’ai besoin de me taire : tout le monde m’attaquoit, et mon poumon étoit usé. Enfin, ma bonne, j’ai trouvé mon abbé, ma Mousse, ma chienne, mon mail, Pilois, mes maçons : tout cela m’est uniquement bon, en l’état où je suis. Quand je commencerai à m’ennuyer, je m’en retournerai. Il y a dans cette immensité de Bretons des gens qui ont de l’esprit ; il y en a qui sont dignes de me parler de vous.

J’ai été blessée, comme vous, de l'enflure du cœur[1] : ce mot d’enflure me déplaît ; et pour le reste, ne vous avois-je pas dit que c’étoit de la même étoffe que Pascal ? Mais cette étoffe est si belle qu’elle me plaît toujours. Jamais le cœur humain n’a mieux été anatomisé que par ces Messieurs-là. Continuez à nous en mander votre avis ; la Mousse vous répondra mieux que moi, car je n’en ai lu que vingt feuillets. Notre abbé n’a point reçu de lettres de vous. Elles étoient sans doute avec mes paquets qui


    Coetquen, en avait été instruit, et Monsieur l’avait su, malgré la défense du Roi.

  1. 8. Expression de Nicole. Le traité de la Foiblesse de l’homme commence par ces mots : « L’orgueil est une enflure du cœur par laquelle l’homme s’étend et se grossit en quelque sorte en lui-même… etc. » Essais de morale, tome I, p. 1. La première édition de ce premier volume avait paru à la fin d’avril 1671.