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c’en étoit fait. Ne doutez donc jamais de ma véritable amitié, et d’une estime et d’une considération très-distinguée : un moment de réflexion vous fera voir que je dis vrai. Je ne suis point surprise que ma fille ne vous dise rien de moi ; elle m’en faisoit autant de vous l’année passée. Croyez donc, sans qu’elle vous le dise, que je ne vous oublie jamais. La voilà qui gronde, et qui dit que vous prenez ce prétexte pour excuser votre paresse : je laisse entre vous ce débat, et je vous assure que, quoique vous soyez l’homme du monde le plus heureux à être aimé, vous ne l’avez jamais été, ni ne le pourrez être de personne plus sincèrement que de moi. Je vous souhaite tous les jours dans mon mail ; mais vous êtes glorieux : je vois bien que vous voulez que je vous aille voir la première ; vous êtes bien heureux que je ne sois pas une vieille maman[1] ; je vous assure que j’emploierai le reste de ma santé à faire ce voyage. Notre abbé en a plus d’envie que moi ; c’est quelque chose. Il vous baise les mains, et notre cher la Mousse. Adieu, mon cher Comte ; aimez-moi toujours bien ; donnez-moi de votre vue, je vous donnerai de mes bois[2].


Ma pauvre bonne, je reviens à vous. Vous n’avez donc point eu toute cette foire que vous attendiez. Mais vous voulez la guerre ; je devine à quoi cette confusion vous seroit bonne. Ne songez-vous plus à vendre cette terre ? Eh mon Dieu, ma bonne, que n’avez-vous tout ce que je vous souhaite, ou que n’ai-je moi-même tout ce que je n’ai pas !

  1. 9. Mme de Sévigné avait alors quarante-cinq ans et demi.
  2. 10. La vue de Grignan est belle et étendue ; celle des Rochers est sauvage, et bornée de tous côtés par des bois. (Note de l’édition de 1818.)