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droit d’une lettre ; mais jusques ici je ne prenois pas la peine de lire ce qu’on mandoit. Voilà la différence : on ne se soucie point des choses publiques, on ne se réveille que pour les grands événements ; et de ceux qu’on aime, les moindres circonstances en sont chères et touchent le cœur. Mme de la Fayette me mande qu’elle se trouve obligée de vous écrire en mon absence, et qu’elle le fera de temps en temps. Cela me paroît honnête ; mais puisque vous lui faites réponse, je ne lui suis guère obligée : voilà une chose fine, l’entendez-vous bien ? Il me semble, ma bonne, que je vous fais grand tort de douter de votre intelligence sur ce qui est un peu enveloppé : je pense que c’est à moi que je parle.

J’ai senti le bout de l’an de Madame[1], et me suis souvenue de l’ètonnement où vous étiez, et comme votre esprit en étoit hors de sa place. Je me souviens aussi de quelle étrange façon vous passâtes tout l’été prisonnière dans votre chambre, et comme le chaud vous faisoit disparoître et nourrissoit tous vos dragons. Je ne sais ce que me font toutes ces pensées ; elles me font, je crois, du bien et du mal : je pense tout, parce que sans cesse je suis occupée de vous ; je passe bien plus d’heures à Grignan qu’aux Rochers. J’espère que vous ne vous contraignez point pour ceux qui vous voient souvent : il faut les tourner à sa fantaisie, sans cela on mourroit.

J’ai fait comprendre à la petite Mlle du Plessis que ce bel air de la cour, c’est la liberté : si bien que, quand elle passe des jours ici, je prends fort bien une heure pour lire en italien avec M. de la Mousse. Elle est charmée de cette familiarité et moi aussi, et dès là elle se croit de la cour elle-même. Auriez-vous été assez cruelle pour laisser

  1. 3. Henriette-Anne d’Angleterre, morte à Saint-Cloud le 29 juin 1670. (Note de Perrin.) — Voyez la note 4 de la lettre 110.