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ce sujet avec un de nos petits amis[1] ; s’il veut profiter de toutes celles que nous avons faites, il en a pour longtemps, et sur toutes sortes de sujets, et d’une manière si peu ennuyeuse qu’il ne devroit pas les oublier.

Je suis aise que vous ayez cet automne une couple de beaux-frères. Je trouve que votre journée est fort bien réglée : on va loin sans mourir d’ennui, pourvu qu’on se donne des occupations, et qu’on ne perde point courage. Le beau temps a remis tous mes ouvriers en campagne, cela me divertit. Quand j’ai du monde, je travaille à ce beau parement d’autel, que vous m’avez vu traîner à Paris. Quand je suis seule, je lis, j’écris, je suis en affaires dans le cabinet de notre abbé. Je vous le souhaite quelquefois pour deux ou trois jours seulement

Je consens au commerce de bel esprit que vous me proposez. Je fis l’autre jour une maxime tout de suite sans y penser, et je la trouvai si bonne que je crus l’avoir retenue par cœur de celles de M. de la Rochefoucauld. Je vous prie de me le dire : en ce cas il faudroit louer ma mémoire plus que mon jugement. Je disois, comme si je n’eusse rien dit, que l’ingratitude attire les reproches, comme la reconnoissance attire de nouveaux bienfaits. Dites-moi donc ce que c’est que cela ? L’ai-je lu ? l’ai-je rêvé ? l’ai-je imaginé ? Rien n’est plus vrai que la chose, et rien n’est plus vrai aussi que je ne sais où je l’ai prise, et que je l’ai trouvée toute rangée dans ma tête, et au bout de ma langue[2]. Pour la sentence de bella cosa far niente[3], vous ne la trouverez plus si fade, quand vous saurez qu’elle est dite pour votre frère : songez à sa déroute de cet hiver.

Adieu, ma très-aimable enfant, conservez-vous, soyez belle, habillez-vous, amusez-vous, promenez-vous. Je

  1. 15. Charles de Sévigné.
  2. 16. Voyez la lettre du 19 juillet suivant.
  3. 17. Voyez la lettre 172, p. 230.