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178. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN

Aux Rochers, mercredi 24e juin,
au coin de mon feu.

Je ne vous parlerai plus du temps ; je serois aussi ennuyeuse que lui, si je ne finissois ce chapitre :

Qu’il soit beau, qu’il soit laid, je n’en veux plus rien dire ;
J’en ai fait vœu, etc.

Je n’ai point eu de vos lettres cette semaine, ma chère fille ; mais je n’en ai point été en peine, parce que vous m’aviez mandé que vous ne m’écririez pas. J’en attends donc de Grignan avec patience ; mais pour l’autre semaine, où je n’étois point préparée, je vous avoue que le malentendu qui me retint vos lettres me donna une violente inquiétude. J’en ai bien importuné le pauvre d’Hacqueville, et vous-même, ma fille : je m’en repens, et voudrois ne l’avoir pas fait ; mais je suis naturelle, et quand mon cœur est en presse, je ne puis m’empêcher de me plaindre à ceux que j’aime bien : il faut pardonner ces sortes de foiblesses. Comme disoit un jour Mme de la Fayette, a-t-on gagé d’être parfaite ? Non assurément ; et si j’avois fait cette gageure, j’y aurois bien perdu mon argent. J’ai eu ici deux soirs M. de Coetquen, à trois jours l’un de l’autre : il alloit affermer une terre à trois lieues d’ici ; et pour la hausser de cinquante francs, il a dépensé cent pistoles dans son voyage. Il m’a fort demandé de vos nouvelles et de celles de M. de Grignan. En parlant des gens adroits et de belle taille, il le nomma le plus naturellement du monde : je vous prie de me mander s’il est toujours digne qu’on le mette au premier rang des gens adroits. Nous trouvâmes votre procession admirable : je