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santé et de tout ce que vous voudrez. Vos lettres me plaisent au dernier point : pourtant, ma petite, ne vous incommodez point pour m’écrire ; car votre santé va toujours devant toutes choses.

Nous admirons, l’abbé et moi, la bonté de votre tête sur les affaires ; nous croyons voir que vous serez la restauratrice de cette maison de Grignan : les uns gâtent, les autres raccommodent ; mais surtout il faut tâcher de passer sa vie avec un peu de joie et de repos ; mais le moyen, ma bonne, quand on est à cent mille lieues de vous ? Vous dites fort bien : on se parle et on se voit au travers d’un gros crêpe. Vous connoissez les Rochers, et votre imagination sait un peu où me prendre : pour moi, je ne sais où j’en suis ; je me suis fait une Provence, une maison à Aix, peut-être plus belle que celle que vous avez ; je vous y vois, je vous trouve. Pour Grignan, je le vois aussi ; mais vous n’avez point d’arbres, cela me fâche[1] ; ni de grottes pour vous mouiller ; je ne vois pas bien où vous vous promenez ; j’ai peur que le vent ne vous emporte sur votre terrasse : si je croyois qu’il vous pût apporter ici par un tourbillon, je tiendrois toujours mes fenêtres ouvertes, et je vous recevrois, Dieu sait ! Voilà une folie que je pousserois loin ; mais je reviens, et je trouve que le château de Grignan est parfaitement beau : il sent bien les anciens Adhémars. Je ne vois pas bien où vous avez mis vos miroirs. L’abbé, qui est exact et scrupuleux, n’aura point reçu tant de remerciements pour rien. Je suis ravie de voir comme il vous aime, et c’est une des choses dont je veux vous remercier, que de faire tous les jours augmenter cette amitié par la manière dont vous vivez avec moi et avec lui. Jugez quel tourment

  1. Il n’y en a pas autour du château, mais le pays est ombragé. (Note de l’édition de 1818.)